Les femmes : les oubliées du projet de loi 59

Le projet de loi 59 présente un recul pour les droits des femmes au travail.
Un carnet rédigé par Kimmyanne Brown, Coordonnatrice Droits du travail, Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT)

À la fin de l’année 2020, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) déposait un imposant projet de loi visant la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail. Il faut savoir que cette réforme était attendue depuis de nombreuses années par toutes les actrices et tous les acteurs de la société civile. Intouchées depuis les années 1990, les dispositions de la loi devaient être adaptées à la réalité du travail d’aujourd’hui et, bien évidemment, aux réalités des femmes sur le marché du travail.

Rappelons que les femmes se sont toujours trouvées dans l’angle mort des différentes lois qui composent le régime de santé et de sécurité du travail.

En raison de la classification selon les groupes prioritaires, elles étaient exclues à 84 % des mécanismes de prévention. Ainsi, des femmes n’avaient aucun moyen concret de prévenir les lésions et les accidents qui pouvaient survenir dans leur milieu de travail, notamment en lien avec le harcèlement sexuel et les troubles musculo-squelettiques.

Le projet de loi 59 (PL59) représente un gain important pour les droits des femmes au travail. Les employeurs auront une obligation de prévention quant à la violence conjugale et familiale pouvant se produire sur les lieux de travail. Les amendements du ministre ajoutent même la notion de violence sexuelle à cette nouvelle obligation. Toutefois, malgré ce pas en avant, de nombreuses inégalités subsistent pour les femmes.

Par exemple, plusieurs groupes ont critiqué l’introduction d’un critère de « niveau de risque » pour déterminer les mécanismes de prévention auxquels chaque secteur serait assujetti. Les emplois majoritairement féminins, tels que ceux des domaines de la santé et de l’enseignement, auraient ainsi été catégorisés avec un niveau de risque jugé « faible ». Pourtant, le Québec se doit de tirer des leçons de la pandémie et de ses effets dévastateurs sur les femmes œuvrant dans ces secteurs.

Avec ce nouveau critère, environ 79 % des travailleuses seraient demeurées sans mécanismes concrets pour prévenir les nombreux risques de leur milieu de travail.

De plus, une catégorie de travailleuses reste exclue du régime de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. En effet, les travailleuses domestiques doivent accomplir un certain nombre d’heures par année afin d’être protégées en cas de maladie professionnelle ou d’accident de travail. Cette exclusion est discriminatoire, car elle est fondamentalement basée sur les stéréotypes du travail féminin qui contribuent à dévaloriser et sous-évaluer le métier de travailleuse domestique. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a récemment déterminé qu’assujettir une catégorie de travailleuses à un nombre d’heures de travail minimal afin d’accéder à un droit était discriminatoire, puisque les femmes sont beaucoup plus nombreuses à travailler à temps partiel[1]. La plupart du temps, elles ne le font pas par choix, mais plutôt parce qu’elles sont obligées de concilier la famille, le travail, les études et la proche aidance de manière beaucoup plus marquée que les hommes.

Enfin, notons que la très grande série d’amendements déposée par le ministre représente toujours un recul pour les droits des femmes au travail.

La suppression du critère de niveau de risque discriminatoire a eu comme impact l’élimination des dispositions fixant, entre autres, le nombre d’heures minimal que les représentant-e-s des travailleuses et des travailleurs doivent consacrer à la prévention. De plus, aucun moyen n’est suggéré pour protéger les travailleuses et les travailleurs d’agence, qui ont fait les frais de la pandémie et qui ont des conditions de travail hautement dangereuses.

Le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT) milite afin que l’on prenne en considération les besoins réels de toutes les femmes en matière de santé et sécurité au travail. Plus que jamais, cette prise en compte est nécessaire à une véritable modernisation du régime et à l’atteinte de l’équité pour toutes les travailleuses du Québec.


[1]  Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/18510/index.do


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