Commentaire de la LDL au sujet du rapport du Comité de sages

La LDL a analysé le rapport du Comité de sages sur l’identité de genre à la lumière des obligations du gouvernement en matière droits humains. Ce rapport ne permet pas de lutter contre la transphobie, qui s’accentue ici comme ailleurs.

La Ligue des droits et libertés (LDL) a pris connaissance du rapport du Comité de sages sur l’identité de genre, rendu public le 30 mai dernier, et par le présent commentaire propose ses observations à la lumière des droits humains.

Pour lutter (vraiment) contre la transphobie

Le 5 décembre 2023, le gouvernement du Québec annonçait la création d’un Comité de sages sur l’identité de genre, invoquant une soi-disante « tension sociale ». Comme bien d’autres organisations, la LDL avait réagi à cette annonce en dénonçant la création d’un tel comité, réitérant que le gouvernement doit prendre au sérieux la montée de la transphobie et en particulier la transmisogynie au Québec et ailleurs, qui se manifester de diverses façons et portent atteintes aux droits humains (déclaration février 2024).

Globalement, la transphobie s’alimente par la négation que les femmes trans sont des femmes, et que les hommes trans sont des hommes; par la construction d’une mise en opposition entre les droits des femmes cisgenres et les droits des femmes trans; par la désignation pratiquement sexiste des femmes cisgenres comme victimes bio-déterminées et insécurisées de façon perpétuelle par les femmes trans; par la production et la perpétuation d’un archétype des femmes trans comme dangers potentiels.

La LDL constate et déplore le fait que le rapport du Comité de sages ne permet pas de lutter contre ce climat de transphobie, qui s’accentue ici comme ailleurs.

Sur le processus employé

D’abord, le comité, dans sa composition comme dans son existence même, fait l’objet de critiques de la part de plusieurs organisations et de la LDL elle-même depuis sa création. La parution du rapport soulève à nouveau ces éléments problématiques en lien avec le processus adopté.

Prêter l’oreille aux malaises de certain-e-s

Le rapport nomme d’emblée le contexte de « tension sociale » dans lequel le comité a été annoncé à l’automne 2023, et y répond en prêtant une attention équivalente à tous types de points de vue. Bien que les processus consultatifs soient de façon générale une chose souhaitable, une approche fondée sur le cadre de référence des droits humains exige une certaine rigueur dans la prise en compte de différents points de vue, expériences et expertises.

Nous souhaitons d’abord souligner qu’il est problématique de placer les sentiments d’insécurité et de malaises de certaines personnes sur un pied d’égalité avec d’autres voix et expertises pour analyser les politiques et pratiques en place, d’autant plus lorsqu’il est question de discrimination. Bien peu de remparts existeraient pour protéger les droits de toutes les personnes, et particulièrement des groupes subissant des discriminations, si les sentiments ou encore les préjugés de certaines personnes devaient être déterminants.

La LDL observe des dérives similaires en ce qui concerne plusieurs enjeux de droits humains, où le sentiment d’insécurité de certain-e-s citoyen-ne-s est utilisé pour justifier et maintenir le statu quo sur des pratiques attentatoires aux droits et discriminatoires (comme c’est le cas des interpellations policières (contrôles d’identité arbitraires), des interventions coercitives en matière de santé mentale, du déplacement de personnes en situation d’itinérance loin des personnes logées, etc.), voire pour élargir et normaliser ces pratiques. La LDL est très préoccupée par le fait que des sentiments et des impressions puissent peser aussi lourdement dans la balance dans les considérations d’un comité mandaté par le gouvernement et qui devrait avoir pour principal cadre d’analyse celui d’évaluer le respect des obligations étatiques en matière de droits humains.

Les propos et expertises qui alimentent – ou non – les travaux

Une plus grande transparence aurait été souhaitable quant aux groupes et individus appelés à « éclairer » le comité, et à cet égard la LDL constate que le rapport pose problème pour les raisons suivantes :

  • En ne permettant pas au public de savoir quelle place ont eu les voix des personnes concernées dans l’ensemble de l’analyse et en maintenant une opacité assez importante en ce qui concerne la méthodologie employée. Aucun rôle prépondérant n’a été donné aux principales personnes concernées au sein du comité, ce qui équivaut à parler des personnes trans sans les personnes trans.
  • En ne donnant pas une place prépondérante au cadre de référence des droits humains dans l’analyse.
  • En se privant d’expertises avancées sur le sujet, alors que des chercheur-e-s et défenseur-e-s des droits approfondissent des analyses sur ces sujets depuis des années, ici même au Québec ainsi qu’ailleurs.
  • En émanant d’un comité mandaté par le ministère de la Famille et en étant rendu public et présenté par la ministre de la Famille, plutôt que par la ministre responsable de la lutte contre l’homophobie et contre la transphobie.

Quelles suites politiques peut-on souhaiter ou redouter?

La LDL lit avec étonnement l’avenue principale proposée par le rapport au Chapitre 2 qui suggère qu’il est souhaitable de « poursuivre la tradition de l’Assemblée nationale du Québec de légiférer sur les questions de diversité sexuelle et de genre en s’appuyant sur des consensus transpartisans et en veillant à ce que les réformes bénéficient de larges soutiens politiques » (p. 88). De l’avis de la Ligue des droits et libertés, c’est plutôt l’implication et le soutien des principales personnes concernées qui devraient être au cœur des processus de légifération sur ces questions.

La LDL déplore l’étrange détour par lequel le rapport réussit au passage à applaudir le modèle québécois de laïcité, et même le récent projet de loi 84 sur l’intégration nationale, et « constate que cet esprit de convergence entre majorité et minorités a inspiré les choix du législateur québécois en matière de pluralisme des genres ». Le contenu et le processus du projet de loi 84, adopté tout récemment malgré de fortes oppositions, ont été décriés par plus de 100 organisations de la société civile. Quant au modèle de laïcité imposé depuis 2019 par le gouvernement québécois, et son élargissement envisagé à travers le projet de loi 94 actuellement, la LDL rappelle qu’il déroge tant à la Charte canadienne qu’à la Charte québécoise. Ce modèle, contraire aux principes même de laïcité, porte atteinte aux droits de plusieurs groupes de la population québécoise et fait encore l’objet d’oppositions majeures.

Ce parallèle avec le modèle de laïcité parait fort inconvenant et la dernière chose que l’on peut souhaiter pour les personnes trans du Québec est qu’une vision similaire anime le gouvernement dans le traitement que celui-ci fera des enjeux entourant les personnes de la diversité de genre.

Des angles morts depuis une perspective de droits humains

Le rapport fait état que la désinformation sur l’identité de genre « pullule, notamment dans les médias » et contribue à « nourrir les préjugés et l’intimidation à l’endroit des personnes de la diversité de genre » (p. 37). Le rapport s’en tient pourtant à ce bref commentaire.

La LDL partage cette préoccupation, tout en y prêtant bien davantage d’importance, car elle est persuadée que la désinformation et la surexposition de ces informations dans les médias et dans certains discours publics font reculer concrètement les droits à la sécurité et à la dignité des personnes issues de la diversité de genre.

Elle considère donc que le gouvernement devrait agir activement et vigoureusement contre la désinformation et la transphobie concernant les personnes trans et les transitions en tant que telles. La sensibilisation et un engagement ferme à lutter contre la recrudescence de l’homophobie et de la transphobie, notamment auprès des jeunes, sont prioritaires.

Il est également préoccupant que le rapport ne mentionne aucunement les engagements et obligations en matière de droits humains du Québec et du Canada à l’international ni les orientations recommandées par les expert-e-s agissant pour l’avancement des droits humains à l’international.

Par exemple, le rapport d’expert Droit et Inclusion[1], déposé à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2021, souligne que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels insistent sur l’importance de l’éducation dans la lutte contre la discrimination fondée sur l’identité de genre. Les deux Pactes prescrivent que soit offerte aux jeunes une éducation « complète en matière de genre et de sexualité, qui soit pleinement conforme à la liberté d’expression et vise à promouvoir le plein épanouissement de la personnalité humaine et du sentiment de dignité de l’être humain ». Rappelons qu’en plus du Canada, le Québec est appelé à se conformer à ces deux Pactes, auquel il s’est déclaré lié dès 1976.

L’expert indépendant y précise également quelques éléments d’intérêt à l’heure d’approfondir ces enjeux, notamment que les luttes contre les « discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre ne sont pas contradictoires avec les droits humains des femmes ». Il avertit également que « les mesures visant à combattre et, à terme, à éliminer la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre nécessitent une analyse transversale, notamment des lois et politiques qui se prétendent neutres du point de vue du genre ou qui concernent un genre en particulier ».

Dans son avis Protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre de 2018[2], l’expert mandaté par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies offre aussi un éclairage important sur le rôle des gouvernements :

Le droit à la reconnaissance effective de l’identité de genre émane à la fois de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et qu’il en découle pour l’État « l’obligation de permettre la reconnaissance du genre d’une manière qui tienne compte des droits à la non-discrimination, à l’égale protection de la loi, à la vie privée, à l’identité et à la liberté d’expression ».

Autant de perspectives qui auraient dû enrichir les réflexions du Comité mais qui surtout, devraient guider les agissements du gouvernement en ce qui concerne les droits des personnes issues de la diversité de genre.

Des préoccupations spécifiques concernant les personnes incarcérées

La LDL intervient depuis plusieurs années en ce qui concerne les droits des personnes détenues et les enjeux carcéraux. Elle constate de longue date, et indéniablement encore aujourd’hui, que les établissements carcéraux du Québec sont des lieux de violations massives des droits humains. La LDL est appelée à réitérer encore sans relâche que les personnes incarcérées conservent tous leurs droits, même si leur liberté de circulation en société est temporairement suspendue : aucune violation par l’État de leur droit à la santé, à la sécurité ou encore à l’égalité et à la non-discrimination n’est tolérable ou justifiable par leur présence en prison.

Au sujet des milieux carcéraux, le rapport du Comité de sages prend pour prémisse le respect de l’auto-identification de la personne concernée pour le choix du lieu de détention. Par contre, il ouvre la porte à une part d’arbitraire dangereuse en recommandant au gouvernement « d’évaluer rigoureusement le niveau de dangerosité et la sincérité de la transition ».

Même si le comité suggère qu’une telle évaluation de la sincérité doive trouver ses fondements dans des critères spécifiques, notamment inspirés de la jurisprudence, il demeure qu’une remise en question d’emblée de la sincérité de l’identité des personnes laisse craindre des dérives importantes. Déterminer la sincérité peut être très subjectif et permettre la prise en compte, en quelque sorte masquée, de valeurs personnelles et de postures morales par les décideurs, les décisions des autorités carcérales ainsi susceptibles de reposer sur des biais et des préjugés largement répandus. Considérant la crédibilité moindre (hautement problématique) qui est accordée aux personnes trans dans différentes instances judiciaires et administratives, lorsque ces mêmes personnes sont appelées à parler de leur marginalisation et des discriminations qu’elles subissent, il y a lieu de redouter qu’un processus d’évaluation de la « sincérité » reproduise une telle injustice. Dans le contexte carcéral, un tel phénomène promettrait d’accentuer les violences subies par les personnes issues de la diversité de genre.

De plus, le développement de cet enjeu dans les débats publics et dans le rapport du Comité de sages répond principalement à « l’affaire Mohamed Al Ballouz ». La LDL déplore vivement qu’encore une fois, à partir d’un cas isolé fortement médiatisé, le gouvernement dépeigne un vaste problème qui exige des réponses vigoureuses, participant ce faisant à créer une panique morale. Il s’agit là d’une tendance condamnable, et qui peut être observée dans d’autres dossiers depuis quelques années. Il est temps que cette tendance consistant à mettre en exergue et à instrumentaliser un cas isolé et/ou exceptionnel afin de justifier des reculs des droits et libertés cesse. L’argument selon lequel de « fausses femmes trans » souhaitent se précipiter dans des prisons pour femmes ne résiste pas à l’épreuve des faits. Le seul établissement provincial pour femmes au Québec, la prison Leclerc, est le théâtre de conditions de détention au moins aussi indignes et difficiles que les prisons pour hommes qui l’avoisinent, qui font l’objet de nombreuses et vives dénonciations depuis 2016, année où les femmes y furent transférées depuis la Maison Tanguay.

Plus largement, cette partie du rapport semble concentrer ses préoccupations sur la sécurité des femmes cisgenres incarcérées, ce qui pose problème de deux manières.

D’abord, il apparait malhonnête de soudainement se soucier des droits des femmes cisgenre incarcérées, alors que les organisations vouées à la défense de leurs droits sonnent l’alarme sur nombre de menaces réelles à leurs droits et à leur dignité depuis des années, avec bien peu d’écoute de la part des gouvernements successifs. Ainsi, l’insécurité des femmes cisgenres en prison se trouve ponctuellement instrumentalisée pour justifier des dénis du droit à l’auto-identification.

Ensuite, il est intolérable que la sécurité des femmes trans qui sont détenues n’occupe pas la place prépondérante dans les réflexions. La « menace » que constituent les femmes trans pour les femmes cis incarcérées n’est aucunement avérée et contribue à nier l’identité de ces dernières à titre de femmes. En outre, incarcérer une femme trans dans une prison pour hommes porte une atteinte avérée à son droit à la sécurité. La question plus pressante est ainsi, plutôt, de savoir comment le gouvernement du Québec doit modifier ses politiques publiques pour que les violences institutionnelles à l’égard de toutes les femmes, et en particulier celles (re)produites au sein des établissements carcéraux, soient éliminées.

Directive ministérielle : un recul des droits des personnes trans incarcérées

Le 18 juin 2025, le ministre de la sécurité publique François Bonnardel a annoncé par voie de communiqué que dorénavant, le critère d’auto-identification ne serait plus respecté et que le critère de « sexe anatomique » serait employé pour déterminer le lieu d’incarcération des personnes trans. L’annonce de cette nouvelle directive ministérielle (qui n’est pas encore officiellement en vigueur et dont le texte n’a pas été rendu public) n’a pu que confirmer les craintes énoncées par différentes organisations de défense des droits des personnes trans, d’organisations œuvrant en solidarité aux personnes trans et de groupes par et pour des personnes de la diversité sexuelle.

La mobilisation du concept de « sexe anatomique » est douteuse et pose de sérieux enjeux de respect des droits des personnes trans, qui depuis 2015, peuvent légalement changer de mention de sexe à l’état civil sans chirurgie ni transition médicale. Ce critère pose aussi de sérieux enjeux entourant la vérification et les fouilles corporelles qu’exigerait ce critère.

Cette annonce est d’autant plus choquante que le ministère affirmait qu’un processus de rédaction d’une instruction concernant l’incarcération des personnes trans était en cours depuis 2018. Dans une correspondance transmise le 13 septembre 2021 à la ministre en fonction, Geneviève Guilbault, la LDL intimait à cet égard le ministère d’adopter une instruction permettant de reconnaître et de protéger les droits des personnes trans et non binaires incarcérées. Pour y parvenir, la LDL insistait sur la nécessité que cette instruction soit élaborée en collaboration avec des organisations de défense des droits et du milieu communautaire, ce que le ministère n’a pas fait comme en atteste la surprise généralisée suivant son annonce du 18 juin 2025.

Cette annonce a été critiquée sur plusieurs fronts et à juste titre. Le fait que le gouvernement ignore dans ce cas les recommandations du rapport du « Comité de sages », qui appelle sans équivoque au respect de l’auto-identification des personnes trans pour le choix du lieu de détention, soulève des questions sur l’imprévisibilité des décisions gouvernementales à venir ainsi que de l’instrumentalisation du rapport à des fins de politique partisane.


[1] Conseil des droits de l’homme, Quarante-septième session, « Droit et inclusion, Rapport de l’Expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, Victor Madrigal-Borloz », A/HRC/47/2, juillet 2021.

[2] Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre », Note du secrétariat, A/73/152, juillet 2018.