Défendre des espaces de contestation sociale

60e anniversaire de la Ligue des droits et libertés
La liberté d’expression constitue une composante importante du travail de la Ligue des droits et libertés depuis ses tout premiers débuts, puisqu’elle est fondamentale à l’action politique qui permet de défendre l’ensemble des droits humains et d’alimenter des débats démocratiques.
image de la revue Droits et libertés

Liberté d’expression et droit de manifester

Lynda Khelil, Responsable de la mobilisation de la LDL

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Revue Droits et libertés, printemps / été 2023


Dès les années 1960, la Ligue des droits et libertés (LDL) s’est penchée sur plusieurs cas de censure menaçant alors l’essor de perspectives progressistes, et féministes en particulier, au Québec. De tous temps, la LDL a dénoncé la répression policière et politique des contestations sociales.

Québec-Presse, Archives UQÀM, Fonds LDL, 24p_630_02_D2_18

Les mobilisations de la LDL pour le droit de manifester ont commencé dès sa création, en collaboration avec d’autres groupes, et avec des retombées concrètes pour l’exercice de ce droit. Dès 1969, la LDL s’oppose à l’adoption du règlement 3926 qui restreint le droit de manifester à Montréal. Sitôt adopté, sitôt utilisé : à la demande du chef de police de l’époque, l’administration de Jean Drapeau interdit la tenue de toute manifestation pour une durée de 30 jours. Le nouveau règlement est défié dans la rue et contesté devant les tribunaux, mais la Cour suprême confirme sa validité en 1978.

En 1994, il devient le règlement P-6, modifié en mai 2012 par l’administration du maire Gérald Tremblay pour obliger la divulgation de l’itinéraire à la police et interdire le port du masque. La LDL s’oppose à la modification de P-6 et exige son abrogation complète. La mobilisation s’échelonne sur plusieurs années, jusqu’à ce qu’enfin, le conseil municipal abroge le règlement P-6 en 2019, 50 ans après l’adoption de sa première mouture !

Répression effarante des grands événements

En avril 2001, le Comité de surveillance des libertés civiles de la LDL organise une mission d’observation indépendante au Sommet des Amériques à Québec et témoigne d’une répression policière effarante. 900 balles de plastique sont tirées et 5 000 bombes de gaz lacrymogènes sont lâchées sur les manifestant-e-s et dans la ville. 430 personnes sont blessées et 480 sont arrêtées. La LDL publie un rapport exigeant l’interdiction immédiate de l’usage des balles de plastique lors de manifestations.

La LDL est sur un pied d’alerte lors d’autres grands événements tels que le Sommet du G-20 à Toronto en 2010, où 1 140 personnes sont arrêtées et détenues, subissant des conditions de détention humiliantes et dégradantes incluant des fouilles à nu systématiques. Avec la Clinique internationale de défense des droits humains de l’UQÀM, la LDL présente un rapport à la Commission interaméricaine des droits de l’Homme à Washington, dénonçant cette répression sur la scène internationale. La LDL orga- nise aussi une mission d’observation conjointe avec Amnistie internationale Canada lors des manifestations en marge du G-7 à La Malbaie et à Québec en 2018.

Entre 1996 et 2006, environ 3 000 personnes sont arrêtées lors de manifestations au Québec. La LDL se tourne vers le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture des Nations Unies pour dénoncer l’emploi d’armes de contrôle de foule et la pratique de l’arrestation de masse par encerclement. Les recommandations des Nations Unies sont toutefois ignorées par les autorités, aucune enquête n’est décrétée, et l’usage de ces pratiques et armes de contrôle de foule décriées se poursuit.

Au printemps 2012, le Québec est marqué par la plus longue grève étudiante de son histoire, qui est le théâtre d’une répression policière considérable. 3 500 personnes sont arrêtées et de nombreuses autres sont gravement blessées par la police. La LDL dénonce cette répression brutale ainsi que la judiciarisation de ces mobilisations d’envergure et réclame la tenue d’une commission d’enquête publique et indépendante sur les stratégies d’interventions policières et les violations de droits. Une pétition initiée par la LDL récolte plus de 11 000 signatures et est déposée à l’Assemblée nationale. En 2013, le gouvernement met en place une Commission d’examen des événements du printemps 2012 chargée d’analyser les circonstances des manifestations et des actions de perturbation survenues en 2012. La LDL dénonce aussitôt le détournement de sa demande qui était d’examiner les violations de droits commises par les forces policières et refuse d’y participer.

Contestation et sensibilisation

Dans les années qui suivent, la LDL publie deux rapports importants sur le sujet : Répression, discrimination et grève étudiante (2013) en collaboration avec l’Association des juristes progressistes et l’Association pour une solidarité syndicale étudiante, et Manifestations et Répression (2015), un bilan du droit de manifester au Québec depuis 2011. En 2013, la LDL intervient devant les tribunaux dans la contestation de la constitutionnalité de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière, une disposition utilisée par la police depuis 2011 pour faire des arrestations de masse. En 2015, la Cour d’appel invalide 500.1, une victoire importante !

En 2017 et 2022, la LDL s’investit dans le projet Le droit de manifester : les règlements municipaux sous la loupe en partenariat avec le Service aux collectivités de l’UQÀM et le Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ). Motivé par les préoccupations et besoins exprimés par divers groupes, le projet se penche sur les limites réglementaires imposées à l’exercice du droit de manifester. En plus de la publication d’un guide en 2017 et d’une tournée d’ateliers, le site Web droitdemanifester.ca est lancé en 2021. Près de 1 000 municipalités sont contactées et invitées à réviser leur règlementation afin de retirer les dispositions qui entravent l’exercice du droit de manifester. Plusieurs victoires s’en suivent, certaines municipalités répondent à l’appel en abrogeant des dispositions réglementaires problématiques, telles que Terrebonne en avril 2023.

Luttes contre les poursuites-bâillons

Au cours des années 2000, la LDL se mobilise autour du phénomène des poursuites-bâillons, une entrave majeure à la liberté d’expression, menaçant la participation démocratique et l’espace de contestation occupé par les mouvements sociaux. Ce sont des poursuites abusives contre des groupes participant au débat public et constituant « une instrumentalisation, même un détournement, du système judiciaire1 ». Plusieurs cas emblématiques ont alimenté les analyses et mobilisations, notamment la poursuite contre l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) en 2005 qui a engendré la campagne Citoyens, Taisez-vous !. Puisque les groupes écologistes sont souvent la cible de poursuites abusives, cette mobilisation d’envergure s’est faite en coalition avec le Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE), notamment.

L’adoption de la Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics, en 2009, est indéniablement le fruit de cette lutte qui est parvenue à doter le Québec d’une loi parmi les plus robustes au monde ! La LDL et le RQGE mènent alors une tournée de formation à travers la province pour aider les groupes à se saisir de ce nouvel outil juridique.

Depuis 2009, l’efficacité de la loi a été constatée à de nombreuses reprises, protégeant effectivement certains militant-e-s et groupes contre des tentatives de poursuites-bâillons. Néanmoins, la loi comporte aussi certaines limites. La LDL et les groupes écologistes, entre autres, doivent donc demeurer vigilant-e-s et mobilisé-e-s devant toutes les tentatives de recours judiciaires qui n’ont pas « pour premier but de gagner en cour, mais plutôt de réduire l’adversaire au silence, de l’épuiser financièrement et psychologiquement […] et de décourager d’autres personnes de s’engager dans le débat public2 ».


  1. Audition de la LDL à la Commission des institutions, le 8 avril 2008, vidéo : https://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/archives-parlementaires/travaux-commissions/AudioVideo-8327.html?support=video
  2. Lucie Lemonde, Lutte contre les poursuites-bâillons : une réforme à poursuivre dans Marie-Pier Arnault et al, dir, L’accès à la justice, quelle justice ?, Nouveaux Cahiers du Socialisme, vol 16, 2016