Emploi et santé mentale : L’obligation d’accommodement de l’employeur

Retour à la table des matières
Revue Droits & Libertés, print. / été 2021

Me Camille Lanthier-Riopel,
LL.M., avocate

L ’obligation d’accommodement de l’employeur permet aux personnes ayant des incapacités en lien avec la santé mentale d’accéder à l’emploi et de s’y maintenir. Bien qu’elle offre en principe une protection importante à ces personnes au cours de la période d’emploi, sa mise en pratique présente des difficultés et des limites.

Qu’est-ce qu’un accommodement en milieu de travail?

L’accès et le maintien en emploi des personnes ayant une condition de santé mentale, particulièrement un trouble qui n’est pas sévère ou qui est transitoire, par exemple un épisode dépressif, un trouble de l’adaptation ou encore un trouble anxieux, s’exercent via le droit à l’égalité prévu à la Charte des droits et libertés de la personne et ses multiples protections[1]. L’article 10 de la Charte interdit la discrimination des personnes ayant un handicap, une condition de santé mentale pouvant être un handicap au sens de cette loi. Il en résulte une obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur qui a connaissance des limitations qu’entraîne la condition de santé mentale d’un-e candidat-e à l’emploi ou d’une personne à son emploi.

Les tribunaux canadiens reconnaissent que « […] les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire […]. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive[2]».

Une candidature ne peut donc pas être écartée, à moins qu’en raison des limitations de cette personne, elle ne possède pas les aptitudes ou les qualités requises pour le poste. De même, la personne en emploi ne doit pas être affectée négativement à cause de ses limitations (par ex. être écartée d’une promotion ou perdre son emploi), sauf si elle ne satisfait pas ou plus aux aptitudes ou qualités requises.

L’obligation d’accommodement couvre autant la période d’absence nécessaire pour récupérer et obtenir des soins et traitements que le retour au travail et la modification à long terme des tâches ou des conditions de travail.

Les meilleures pratiques de retour au travail

Les chercheuses et les chercheurs en psychologie organisationnelle insistent sur la nécessité de revoir les pratiques d’un milieu de travail en matière de santé mentale, notamment en ayant une politique en la matière, mais aussi en mettant à profit la vue d’ensemble qu’a la superviseure ou le superviseur immédiat du travail de la personne concernée[3], pouvant ainsi établir le lien entre elle et la direction.

Le retour au travail d’une personne ayant un problème de santé mentale s’effectue fréquemment dans le cours de son rétablissement, ce qui peut nécessiter des modifications de sa prestation de travail. La recherche suggère qu’il est nécessaire que les milieux de travail aient à la fois des pratiques de retour au travail appliquées systématiquement, donc à l’ensemble des employé-e-s, et qu’en plus il y ait une flexibilité suffisante pour répondre aux besoins particuliers de chaque individu. Par exemple, des pratiques qui peuvent être mises en place seraient d’offrir un retour au travail progressif – avec des tâches et un horaire allégé – ou de modifier des conditions de travail (ex. travail à temps partiel ou horaire flexible) ou des tâches à plus long terme (par exemple modifier la charge de travail ou l’environnement de travail)[4].

La judiciarisation de l’obligation d’accommodement

À défaut pour l’employeur de remplir son obligation d’accommodement, la personne ayant un problème de santé mentale doit faire valoir ses droits à l’organisation ou devant le tribunal approprié. Notre revue de la jurisprudence de 2010 à 2018 permet de constater que 85 % des demandes d’accommodement présentées à un tribunal visent des personnes syndiquées[5]. Pourtant, le droit à l’égalité des personnes handicapées existe sans la nécessité d’entreprendre un recours judiciaire et ce, à différents moments de leur vie professionnelle, tant dans le processus d’embauche[6] qu’en cours d’emploi[7] ou en cas de lésion professionnelle[8].

Contrairement à la pratique au Québec d’utiliser des questionnaires médicaux préembauche détaillés, il est nécessaire de rappeler qu’en matière d’embauche une personne n’a pas à dévoiler le diagnostic de sa condition de santé, mais bien à indiquer à l’employeur les mesures qui sont nécessaires pour qu’elle puisse accomplir le travail demandé. Tout questionnaire ou examen médical ne peut d’ailleurs pas être légalement imposé avant que la personne ne reçoive une offre d’emploi[9].

En cours d’emploi, l’obligation d’accommodement peut être soulevée à tout moment lorsqu’une personne fait face à des difficultés dans l’accomplissement de son travail en raison de son handicap. Nos recherches nous ont toutefois permis de constater que les personnes qui font appel à l’obligation d’accommodement devant des tribunaux le font généralement face à une fin d’emploi. Dans de nombreux cas, la fin d’emploi survient en raison d’un absentéisme de longue durée ou d’un absentéisme fréquent. L’obligation d’accommodement devient alors le dernier levier à actionner pour essayer de maintenir le lien d’emploi[10]. Nous avons aussi constaté des limites importantes quant à ce que les décideuses et décideurs accordent en matière de mesures d’accommodement. En effet, peu de modalités d’accommodement ou de mesures précises sont imposées (comme la modification des horaires ou des tâches)[11].

En définitive, il apparaît que le recours à l’obligation d’accommodement par une personne ayant un problème de santé mentale présente des difficultés et qu’elle fait l’objet d’une judiciarisation importante. La mise en place par les organisations de mesures favorisant l’adaptabilité du milieu de travail, des tâches et des conditions de travail est cruciale pour l’insertion et le maintien en emploi des personnes présentant des problèmes de santé mentale.

 


 

[1] Articles 10 et suivants de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12, en particulier les articles 16 à 20 qui visent le travail des personnes ayant des caractéristiques protégées.

[2] Hydro-Québec c Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43 au par. 14.

[3] Louise St-Arnaud et Catherine Briand, « The Best Practices for Managing Return to Work Following MentalHealth Problems at Work » dans Occupational Health and Safety : Psychological and Behavioral Aspects of Risk, Gower, 2011, p.343-357.

[4] Ibid.

[5] Camille Lanthier Riopel, L’accommodement en milieu de travail québécois des personnes souffrant d’un problème de santé mentale, Université d’Ottawa, 2020, p 58. En ligne : https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/40100

[6] La personne discriminée dans le cadre d’un processus d’embauche peut déposer une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ), supra note 1, art 74.

[7] La personne non syndiquée peut s’adresser à la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité du travail (CNESST), division des normes du travail. La personne syndiquée doit plutôt s’adresser à son syndicat pour le dépôt d’un grief

[8] La CNESST, division de la santé et sécurité du travail, doit s’assurer que l’exercice d’accommodement soit effectué dans le processus d’évaluation de la possibilité de retour au travail chez l’employeur d’une personne dont les limitations fonctionnelles l’empêchent de reprendre son travail; voir Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c Caron, 2018 CSC 3

[9] Supra note 1, art 18.1., Sophie Fournier, De Charybde en Scylla: le dilemme des candidats face à une question discriminatoire en embauche dans Développements récents en droit du travail, Barreau du Québec, Vol 364, 2013, p.128-170, Yvon Blais, Cowansville.

[10] Pour l’analyse complète voir supra note 5 aux pages 58 et suivantes.

[11] Ibid aux pages 61 à 70.

 

Retour à la table des matières