Évaluer les répercussions sur les droits de l’enfant : Une mesure importante de la Convention

L’approche « Évaluations des répercussions sur les droits de l’enfant » permet aux décideur-e-s du Nouveau-Brunswick de s’autoresponsabiliser face à leurs engagements envers les enfants.

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Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

Christian Whalen et Clara Bataller, Défenseur des enfants et de la jeunesse du Nouveau-Brunswick

La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) assure une protection et une promotion des droits des enfants, que les États se sont engagés à respecter. Les évaluations des répercussions sur les droits de l’enfant (ERDE) apparaissent alors indispensables, en représentant l’outil complémentaire permettant de rendre les enfants visibles dans le processus de prise de décision des gouvernements. Néanmoins, le manque de suivi et de révision de ces évaluations peut engendrer des impacts conséquents pour les enfants et leurs droits.

Évaluer les impacts

La Convention relative aux droits de l’enfant a permis de reconnaitre les enfants comme des personnes ayant des droits et des besoins spéciaux à travers 42 droits fondamentaux. Adopté en 1989 par l’ONU, elle est le premier instrument à avoir apporté des changements quant à leur protection, en les considérant comme des participants actifs dans leur propre vie et dans la société. Mais proclamer ces droits est bien plus facile que de les faire respecter. Le Comité des droits de l’enfant énonce au commentaire général no 5 une série de mesures générales d’application de la Convention. Parmi ces mesures se trouve la recommandation d’adopter des évaluations des répercussions (ou des impacts) sur les droits de l’enfant (ERDE) dans les processus décisionnels d’adoption ou de modification des lois, règlements, politiques et programmes de l’État.

J’ai le droit de connaître mes droits, Étienne Riverin, 10 ans

Visibiliser les enfants

Les ERDE sont des outils permettant d’évaluer les impacts potentiels d’une politique ou d’une décision particulière sur les enfants et leurs droits. Les enfants étant particulièrement vulnérables, ils peuvent être affectés de manière disproportionnée lorsque des décisions s’appliquent aux services publics dont ils disposent, tels que l’éducation et la santé. Les ERDE permettent donc de mettre en pratique la CDE, et son principe général de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une manière concrète et structurée. L’objectif est d’améliorer leur mieux-être en complétant la qualité des informations mises à la disposition des décideurs, afin de rendre les enfants visibles dans le processus de prise de décision1.

Participation des enfants

Les impacts révélés par ces évaluations peuvent être aussi bien intentionnels qu’involontaires, directs ou indirects, et à court ou à long terme. Les ERDE aident à maximiser les impacts positifs tout en réduisant ceux qui sont négatifs, y compris l’identification des conséquences négatives involontaires des propositions. Elles assurent également la transparence des décisions, tout en veillant à la responsabilité des décideurs vis-à-vis des décisions prises.

Elles reconnaissent l’enfant comme titulaire actif de droits plutôt qu’en tant que bénéficiaire passif de mesures, bienveillantes ou non, prises par des adultes, et encouragent la participation des enfants à l’exercice d’évaluation.

Enfin, elles prennent soin de veiller spécifiquement aux répercussions sur des sous-populations d’enfants ou de jeunes particulièrement à risque2.

Selon le guide d’introduction des ERDE pour le Nouveau-Brunswick, au Canada, les évaluations correctement réalisées permettent de prévenir les décideurs des conséquences de leurs décisions, offrant la possibilité d’atténuer les torts potentiellement existants. De ce fait, l’utilisation de l’ERDE améliore la qualité des décisions de politique publique et contribue à de meilleurs résultats pour les enfants dans le cadre de la CDE.

Une pratique à implanter

Par ailleurs, le Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant recommande régulièrement leur utilisation à l’ensemble des pays ayant ratifié la CDE, soit 196, afin d’évaluer les impacts de toutes les décisions relatives aux enfants dans le monde3. Ces évaluations doivent être entreprises au niveau national, régional et local, avec des changements organisationnels ou administratifs à tous les niveaux de la société.

Le processus d’évaluation n’est pas récent. Il a fait ses preuves depuis ses débuts en Flandre, il y plus de vingt ans.

Par la suite, le modèle a été adopté par d’autres pays du nord de l’Europe et du Commonwealth. En Amérique du Nord, les ERDE ne sont que très peu utilisées, les États-Unis étant la seule nation au monde à ne pas avoir ratifié la CDE.

Parmi toutes les expériences des États, on peut déceler deux grandes tendances : i) une approche qui favorise un contrôle a priori des lois et des politiques proposées par un contrôle interne des décideurs eux-mêmes (Flandre, Pays de Galles, Nouveau-Brunswick) ; et ii) une approche qui favorise un contrôle a posteriori des lois proclamées par un organisme indépendant de défense des droits de l’enfant (Royaume Uni, Écosse, Australie).

Le modèle du Nouveau-Brunswick

Depuis 2009, le Bureau du Défenseur du Nouveau-Brunswick a plaidé en faveur de l’adoption d’un outil ERDE par le gouvernement de la province. De premières discussions ont eu lieu avec le ministre de la Justice favorable au projet, mais c’est à l’occasion d’une réforme de la Loi sur les normes d’emploi par le ministère du Travail et de ses dispositions portant sur le travail des enfants que le projet a vraiment été entamé. Des rencontres avec le Bureau du conseil exécutif ont eu lieu et le feu vert a été donné à l’établissement d’un comité interministériel avec le mandat de i) créer un outil ERDE pour les décisions du conseil des ministres ; ii) proposer un programme de formation pour l’adoption de l’outil ; et iii) identifier un mécanisme d’évaluation de l’outil.

Les clés du succès de la démarche au Nouveau-Brunswick ont été : i) de faire valider le projet par le Bureau du conseil exécutif ; ii) d’avoir la codirection du projet par ce Bureau et par un expert indépendant en droits de l’enfant tel le Bureau du Défenseur ; iii) d’avoir l’appui et l’expertise technique d’UNICEF Canada, tout au long du projet ; iv) d’avoir développé un outil fonctionnel mais relativement simple ; et v) d’avoir investi suffisamment au départ dans la formation des cadres et des coordonnateurs législatifs des ministères.

Le fait que le gouvernement du jour venait d’adopter un outil semblable pour les personnes handicapées à contribuer au plaidoyer en faveur des enfants. Mais l’outil ERDE a rehaussé la barre et a conduit éventuellement à l’adoption d’un meilleur outil d’analyse selon les genres et d’un nouvel outil pour les personnes handicapées.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick est donc, depuis 2013, la première administration en Amérique du Nord à avoir adopté un processus obligatoire d’ERDE pour toutes les décisions du Conseil des ministres, l’organe décisionnel central du gouvernement. Ces ERDE ont largement contribué à un changement de culture naissant en faveur des droits de l’enfant et des approches fondées sur les droits. Chaque mesure générale d’application de la CDE est renforcée lorsqu’elle est opérationnalisée en complémentarité avec d’autres mesures générales d’application. C’est le constat des efforts au Nouveau-Brunswick. Depuis dix ans déjà, la province appuie les efforts de formation des cadres et de la fonction publique en droits de l’enfant. De plus, il existe une stratégie provinciale pour mettre en œuvre le droit de l’enfant d’être protégé contre toute forme de violence. Un travail plus rigoureux est fait depuis 15 ans en lien avec la collecte de données et le partage, l’analyse des données et des indicateurs d’applications des droits de l’enfant. L’outil ERDE de la province renvoie l’analyste des programmes chargé de faire l’ERDE au rapport annuel de l’état de l’enfance afin que l’évaluation des répercussions se fasse à la lumière de données probantes. Ces outils se complètent et l’approche fondée sur les droits est renforcée de façon réciproque.

L’expérience néo-brunswickoise démontre que la plus-value d’une approche ERDE par un contrôle a priori interne au gouvernement permet aux décideurs de s’autoresponsabiliser face à leurs engagements envers les enfants.

Mais une approche n’exclut pas l’autre. Un meilleur contrôle est possible si l’on conjugue un contrôle a priori par l’administration avec un contrôle a posteriori rigoureux par un bureau du Défenseur. Au Nouveau-Brunswick, des premiers pas prometteurs sont faits en ce sens4. Aussi la pratique sera d’autant plus renforcée lorsque l’approche ERDE sera répandue à différent paliers de gouvernements, locaux et fédéraux5, au secteur à but non lucratif ainsi que dans le monde des affaires.

La responsabilité des élu-e-s

Le premier pas pour le Nouveau-Brunswick sera de veiller à ce que les ERDE soient pleinement intégrées à la charge ministérielle et dans l’élaboration des programmes et politiques internes des agences et ministères comme cela se fait aujourd’hui en Écosse. L’amélioration continue des efforts investis dépendra en grande partie par la reprise de travaux interministériels afin de valider et parfaire le processus des ERDE et de faire progresser cette mesure générale d’application de la CDE. Les ERDE sont un puissant mécanisme pour structurer et opérationnaliser l’engagement de l’État envers les droits des enfants, il peut aussi devenir un important vecteur de cet engagement, mais il s’en faut toutefois que les élus veuillent respecter les droits des enfants.


  1. UNICEF Canada, Évaluations d’impact sur les droits de l’enfant : les principes fondamentaux par Unicef Canada pour le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, 3 février 2014.
  2. Suzanne Williams, Mary Bernstein, et al, 2015, Trousse d’outils sur les droits de l’enfant, Association du Barreau Canadien, Canadian Bar Association – Évaluations des répercussions sur les droits de l’enfant (ERDE) (org).
  3. Louise Sylwander, 2001, Évaluations d’impact sur les enfants : Expérience de la Suède des analyses d’impact sur les enfants en tant qu’outil de mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant, par le ministère de la Santé et des Affaires sociales et le ministère des Affaires étrangères, Suède.
  4. Défenseur des enfants et de la Jeunesse, Évaluations des répercussions sur les droits de l’enfant : Guide d’introduction pour le Nouveau-Brunswick.
  5. Justice Canada élabore présentement un outil à l’usage du ministère qui sera assortie d’un guide et d’une formation en ligne disponible à tous.