Alexandra Pierre, présidente de la Ligue des droits et libertés
Philippe Néméh-Nombré, vice-président de la Ligue des droits et libertés
À l’occasion de la Journée mondiale des droits de la personne, ou humains comme nous préférons les nommer, il faut nous rappeler l’importance de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), dont c’est le 73e anniversaire en ce 10 décembre. La DUDH, ainsi que tous les instruments des droits humains qui en ont découlé ont contribué à forger nos collectivités sous plusieurs aspects. L’un de ces aspects qui nous interpelle particulièrement en temps de pandémie est celui de l’expression de la pluralité dans toutes ses dimensions. L’expression d’opinions, même divergentes, ainsi que la délibération qui en découle, sont des conditions nécessaires à une société réellement démocratique. Pourtant, nous observons que ces droits humains sont actuellement déconsidérés et mal compris.
Les droits humains contribuent à la libre expression d’idées puisqu’ils reconnaissent que des personnes et groupes qui occupent des positions différentes dans la société partagent les mêmes droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, dont celui d’avoir la possibilité de participer au dialogue public.
Les instruments des droits humains comme la DUDH, les différents pactes internationaux et les chartes canadienne et québécoise font de l’égalité et la liberté des individus des piliers d’une société démocratique. Ce faisant, ces textes reconnaissent deux pluralités : celle des opinions et celle des personnes et groupes qui les formulent. Ainsi, les droits humains représentent un cadre qui facilite les délibérations. De même, en retour, le débat est essentiel à la défense et au respect des droits humains.
Pourtant, depuis un moment déjà, nous observons des attaques répétées contre l’expression de la pluralité des voix et contre ce qu’elle permet de défendre. Au Québec, le gouvernement caquiste s’évertue, sans gêne, à bloquer, court-circuiter ou invalider des idées en prétextant représenter la majorité et ses volontés. Il évoque régulièrement de vagues valeurs dites « communes », qu’il prétend « consensuelles », pour tenter de clore des discussions. Il assimile toute tentative de débat d’idées et toute contestation au déni du droit d’exister de la nation québécoise.
Il escamote les consultations publiques dans l’élaboration de ses projets de loi en donnant des délais ridiculement courts de préparation aux organismes et aux personnes de la société civile.
Ainsi, de manière tout à fait assumée et avec une inquiétante aisance, il contribue à une construction d’un « Nous », qui est utilisé pour faire taire les voix discordantes.
Face à ces manœuvres, il faut continuer de marteler l’importance de garantir l’expression de la pluralité des opinions. Une société démocratique est formée à travers la délibération, au cours de laquelle toutes les opinions, à l’exception bien sûr des discours haineux qui sont d’ailleurs déjà interdits, doivent pouvoir être exposées, débattues et contestées. Ainsi, la manière de penser le collectif a nécessairement un impact sur les droits humains, et vice versa.
Les droits humains sont ainsi une condition nécessaire à l’exercice démocratique.
Il y a un danger à croire que l’expression – réelle ou fantasmée – de l’opinion de la majorité, ou de ceux et celles qui prétendent la représenter, puisse légitimer l’absence de débats collectifs ou le fait de les tenir de manière expéditive. Entraver l’expression des voix contradictoires parce qu’« ici c’est comme ça qu’on vit », parce que prendre le temps de débattre est une « perte d’efficacité » , ou parce que les pouvoirs exceptionnels sont devenus la règle, constitue une négation des droits humains. C’est pour ces raisons que nous rappelons l’importance de penser conjointement droits humains et délibération, de favoriser et défendre la participation dans les prises de décision, ainsi que, dès aujourd’hui, de mettre fin à l’état d’urgence au Québec.