Le diabète et l’âgisme
Un carnet rédigé par Lizanne Lagarde, membre de la LDL et doctorante en psychologie. Mme Lagarde est diabétique de type 1 et active dans la Coalition pour la fin de la discrimination selon l’âge en matière d’accès à des pompes à insuline pour les personnes diabétiques insulinodépendantes.
Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.
Le 16 avril 2011, le gouvernement québécois a mis en vigueur un programme d’accès aux pompes à insuline pour les personnes ayant un diabète insulinodépendant âgées de moins de 18 ans. À la suite de leur admission, le programme prévoit qu’elles « peuvent continuer d’y participer après l’âge de 18 ans »[1] .
À première vue, ceci peut sembler juste, si on se fie au préjugé tenace qui porte à croire que c’est durant l’enfance que se déclare le type de diabète qui nécessite une insulinothérapie intensive pour garantir la survie, et par conséquent prévenir la mort des personnes qui en sont atteintes[2]. Or, c’est faux. Ce type de diabète, anciennement appelé diabète juvénile, a été rebaptisé diabète de type 1 (DT1)[3], car l’âge médian de son diagnostic se situe largement au-dessus de 18 ans. En réalité, au Canada, on estime cet âge à 39 ans[4].
Alors pourquoi avoir instauré un critère aussi arbitraire que celui de l’âge pour déterminer qui aurait droit ou non à la couverture publique de son traitement par pompe à insuline ?
Depuis mai 2022, en toute logique, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) recommande d’étendre aux adultes atteints du DT1 la couverture publique des pompes à insuline hybrides[5]. C’est-à-dire des pompes couplées, en boucle fermées, à un dispositif de mesure de glucose en continu.
De nombreuses voix se sont levées contre cette injustice qui génère une iniquité entre deux catégories d’adultes, pourtant atteint-e-s de la même maladie[6]:
- celles et ceux ayant droit au remboursement public de leur pompe à insuline, étant donné leur admission au programme avant d’avoir eu 18 ans ;
- et les autres n’ayant pas droit à ce remboursement parce qu’ils ou elles :
- malgré un diagnostic durant l’enfance, avaient plus de 18 ans au moment de l’entrée en vigueur du programme ;
- ont reçu leur diagnostic après l’âge de 18 ans ;
- ont pris connaissance trop tard de leur éligibilité au programme ;
- n’étaient pas psychologiquement prêt-e-s, avant leurs 18 ans, à adopter ce mode de traitement qui, il va sans dire, peut être ressenti comme invasif[7].
Mais pourquoi, sachant pertinemment cela, persiste-t-on à exercer une telle discrimination ?
Un autre préjugé hautement stigmatisant semble en jeu : la croyance populaire très répandue suivant laquelle un mauvais mode de vie serait en cause dans le développement du diabète à l’âge adulte[8]. Cette idée, qui attribue une faute morale aux gens concernés[9], en plus d’occulter la complexité des origines multifactorielles du diabète de type 2[10], s’avère complètement fausse au sujet du DT1 et du diabète LADA (Latent Autoimmune Diabetes in Adults)[11] qui sont des maladies auto‑immunes[12].
Il paraît crucial de reconnaître et de dénoncer que de l’âgisme et de la stigmatisation envers les personnes vivant avec le diabète sont à l’œuvre dans cette situation.
Sinon, comment expliquer la réponse de Christian Dubé, ministre de la Santé, à la question que lui posait Vincent Marissal, le 18 octobre 2023, à savoir si le gouvernement pouvait mettre fin à cette injustice en élargissant la couverture des pompes à insuline à toutes les personnes ayant un diabète insulinodépendant :
« Premièrement, je veux saluer les gens qui sont ici ce matin. Je pense que c’est important de reconnaître le travail qu’ils font pour les personnes qui sont atteintes. […] Il y a déjà beaucoup d’enfants qui sont admissibles […]. J’veux rassurer les parents, ici, qu’il y a des travaux qui sont en cours, justement, pour élargir le programme. […] Mais, encore une fois, c’est toujours la même chose, c’est que, ça prend un certain temps pour s’assurer qu’on va avoir le financement nécessaire et les sommes pour ça sont excessivement importantes. Donc, on travaille en ce moment […] pour trouver des solutions qui seraient acceptables non seulement pour les enfants, qui sont déjà couverts, mais pour les parents. » Christian Dubé, ministre de la Santé
Cette réponse souligne l’incompréhension flagrante du ministre de la Santé face à la situation. De toute évidence, il a formulé l’essentiel de son propos en évitant de répondre aux personnes concernées, préférant s’adresser aux parents d’enfants atteints d’un diabète, alors que ces
dernier-ère-s bénéficient déjà d’un accès à la couverture publique des pompes à insuline tout au long de leur vie. Pourquoi ne s’est-il pas plutôt adressé aux adultes qui, par définition, sont affranchi-e-s d’un rapport parent‑enfant, celles et ceux-là mêmes qui dénoncent l’injustice persistante qui les affecte depuis bien trop longtemps ? Difficile de ne pas y percevoir la trace des préjugés susmentionnés.
Autrement, quelles autres raisons peuvent justifier cette discrimination basée sur l’âge ? Est-ce vraiment parce que ce serait coûteux, comme le soutient le ministre Dubé ?
Cet argument, en plus d’aller à l’encontre de la recommandation de l’INESSS, qui a déjà étudié les questions de rentabilité[13] concernant la couverture publique des pompes à insuline chez les adultes, ne permet pas de comprendre l’usage du critère apparemment arbitraire de l’âge pour déterminer quelle population le gouvernement décide de privilégier.
Nous apportons cette réflexion, car diverses formes d’oppression sont reconnues pour être exacerbées dans des sociétés de performance qui, comme la nôtre, cherchent la compétitivité économique. Afin d’atteindre ces idéaux, on y valorise la jeunesse au détriment de la vieillesse, on y blâme injustement les personnes pour le développement de leur maladie[14], et on justifie ces iniquités sous prétexte que certain-e-s citoyen-ne-s auraient moins de valeur[15] ou encore sous prétexte de faute morale[16]. Dans cette perspective, le message envoyé aux adultes exclu-e-s du programme d’accès aux pompes à insuline est qu’ils et elles sont considéré-e-s comme ayant moins de valeur que leurs homologues plus jeunes ou dont le diagnostic a eu lieu plus tôt, avant 18 ans. Ceci porte manifestement atteinte à leur droit à la dignité.
Le manque d’accès aux pompes à insuline bafoue également les droits à la santé et à la vie des personnes concernées. En effet, sans système de pompe à insuline hybride, les personnes ayant le DT1 au Canada verraient leur espérance de vie en santé diminuer de six ans en moyenne[17]. Et peu importe l’âge du diagnostic, chaque personne diabétique est à risque de développer des complications graves (aux yeux, aux reins, aux nerfs, au cœur, aux vaisseaux sanguins, etc.), particulièrement si leur taux de sucre sanguin s’éloigne des valeurs cibles durant de longues périodes[18]. De plus, le fardeau sans répit de la gestion de cette maladie, alourdi par des expériences de discrimination et de stigmatisation, fragilise leur santé mentale[19], ce qui peut entraîner un cercle vicieux augmentant la précarité psychosociale et socio-économique ainsi que les risques de complications physiques et des décès prématurés[20].
Afin de rendre justice aux adultes ayant un diabète insulinodépendant, il est urgent que le gouvernement du Québec leur donne un accès aux pompes à insuline sans discrimination d’âge.
[1] Gouvernement du Québec. (dernière mise à jour : 19 février 2021). Programme d’accès aux pompes à insuline. En ligne : https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/diabete/programme-d-acces-aux-pompes-a-insuline
[2] Équipe des professionnelles de la santé de Diabète Québec. (2022, juillet). Le traitement du diabète, de 1921 à aujourd’hui. Diabète Québec. En ligne : https://www.diabete.qc.ca/le-diabete/informations-sur-le-diabete/histoire-du-diabete/le-traitement-du-diabete-de-1921-a-aujourdhui/
[3] Beyound type 1. (s. d.). Diabète de type 1. Beyond type 1. En ligne : https://fr.beyondtype1.org/diabete-de-type-1/
[4] La Presse canadienne. (2022). Un portrait complet du diabète de type 1 dans le monde. Radio-Canada. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1923169/diabete-de-type-1-portrait-complet-planete
[5] Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. (2022). Avis – Évaluation des systèmes de pompes à insuline chez les personnes atteintes du diabète de type 1 : fiche synthèse de l’avis produit par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. En ligne : https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/Technologies/INESSS_Fiche_synthese_Pompes_insuline.pdf
[6] La facture. (2022, 22 novembre). Des diabétiques se disent victimes d’injustice. Radio-Canada. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/tele/la-facture/site/segments/reportage/423897/diabete-pompe-insuline-payer-ramq-programme-diabetique. Voir aussi : Le téléjournal Estrie. (2013, 29 octobre). Une famille diabétique de Sherbrooke demande le remboursement des pompes à insuline. Radio-Canada. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-6872345/une-famille-diabetique-sherbrooke-demande-remboursement-pompes-a-insuline. Voir aussi : Les Pancré«AS» et Coalition pour la fin de la discrimination selon l’âge en matière d’accès à des pompes à insuline. (2023, 7 septembre). En grande pompe, vers la manifestation du 18 septembre 2023 [vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=AXtylGTBV3U. Voir aussi : Marissal, V. (2023, 19 octobre). Extrait d’un échange entre Vincent Marissal et Christian Dubé à la période des questions à l’Assemblée nationale au sujet de l’absence de couverture par la RAMQ des pompes à insuline, Journal des débats, Assemblée nationale. En ligne : https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/43-1/journal-debats/20231018/361383.html
[7] Fédération des diabétiques. (s. d.). Pompes à insuline dans le diabète : quel impact sur l’estime de soi ?. Fédération des diabétiques. En ligne : https://pompeainsuline.federationdesdiabetiques.org/mon-quotidien/pompes-a-insuline-dans-le-diabete-de-type-1-quel-impact-sur-lestime-de-soi/
[8] Broom, D., & Whittaker, A. (2004). Controlling diabetes, controlling diabetics: moral language in the management of diabetes type 2. Social Science & Medicine, 58(11), 2371–2382. doi:10.1016/j.socscimed.2003.09.002. Voir aussi : Haag, S. (2023, 30 octobre). Combattre la stigmatisation liée au diabète : nous avons tous un rôle a jouer. Type 1 better. En ligne : https://type1better.com/fr/combattre-la-stigmatisation-liee-au-diabete-nous-avons-tous-un-role-a-jouer/
[9] Ibid
[10] Beyond Type 2. (s. d.). Qu’est-ce que le diabète de type 2 ?. Beyond Type 2. En ligne : https://fr.beyondtype2.org/quest-ce-que-le-diabete-de-type-2/
[11] Équipe des professionnelles de la santé de Diabète Québec. (2020, avril). Autres types de diabète. En ligne : https://www.diabete.qc.ca/le-diabete/informations-sur-le-diabete/autres-types-de-diabete/
[12] Ibid. Voir aussi : Beyound type 1. (s. d.). Diabète de type 1. Beyond type 1. En ligne : https://fr.beyondtype1.org/diabete-de-type-1/
[13] Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). (2022). Avis – Évaluation des systèmes de pompes à insuline chez les patients atteints du diabète de type 1. En ligne : https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/Technologies/INESSS_Pompes_insuline_Avis.pdf
[14] Broom, D., & Whittaker, A. (2004). Controlling diabetes, controlling diabetics: moral language in the management of diabetes type 2. Social Science & Medicine, 58(11), 2371–2382. doi:10.1016/j.socscimed.2003.09.002 Voir aussi: Crawford, R. (1977). You are Dangerous to Your Health: The Ideology and Politics of Victim Blaming. International Journal of Health Services, 7(4), 663–680. Doi:10.2190/yu77-t7b1-en9x-g0pn
[15] Billette, V., Lavoie, J.-P., Séguin, A.-M., et Van Pevenage, I. (2012). Réflexions sur l’exclusion et l’inclusion sociale en lien avec le vieillissement. L’importance des enjeux de reconnaissance et de redistribution. Frontières, 25(1), 10-30. DOI : 10.7202/1018229ar
[16] Haag, S. (2023, 30 octobre). Combattre la stigmatisation liée au diabète : nous avons tous un rôle a jouer. Type 1 better. https://type1better.com/fr/combattre-la-stigmatisation-liee-au-diabete-nous-avons-tous-un-role-a-jouer/ Voir aussi : Broom, D., & Whittaker, A. (2004). Controlling diabetes, controlling diabetics: moral language in the management of diabetes type 2. Social Science & Medicine, 58(11), 2371–2382. doi:10.1016/j.socscimed.2003.09.002 et Crawford, R. (1977). You are Dangerous to Your Health: The Ideology and Politics of Victim Blaming. International Journal of Health Services, 7(4), 663–680. Doi:10.2190/yu77-t7b1-en9x-g0pn
[17] Type 1 diabetes index. (s. d.). Interventions. Type 1 index. https://www.t1dindex.org/countries/canada/
[18] Équipe des professionnelles de la santé de Diabète Québec. (2023, juillet). Complications liées au diabète. Diabète Québec. https://www.diabete.qc.ca/le-diabete/informations-sur-le-diabete/complications/
[19] Kinnard, N. (2023, 30 novembre). La charge mentale du diabète de type 1 : à prendre au sérieux. Type 1 better. https://type1better.com/fr/la-charge-mentale-du-diabete-de-type-1-a-prendre-au-serieux/
[20] Dostie, M. et Talbo, M. (2023, 15 juin). Statut socioéconomique et diabète de type 1 : quel impact sur le risque de complications ?. Type 1 better. https://type1better.com/fr/statut-socioeconomique-et-diabete-de-type-1-quel-impact-sur-le-risque-de-complications/ Voir aussi: Haag, S. (2023, 30 octobre). Combattre la stigmatisation liée au diabète : nous avons tous un rôle a jouer. Type 1 better. https://type1better.com/fr/combattre-la-stigmatisation-liee-au-diabete-nous-avons-tous-un-role-a-jouer/ et Kinnard, N. (2023, 30 novembre). La charge mentale du diabète de type 1 : à prendre au sérieux. Type 1 better. https://type1better.com/fr/la-charge-mentale-du-diabete-de-type-1-a-prendre-au-serieux/