L’enfant : plus qu’un adulte de demain, un citoyen d’aujourd’hui

Les enfants ont le droit d’être effectivement entendus dans toutes les sphères de leur vie. Les adultes ainsi que les institutions qui les entourent ont le devoir de leur laisser l’opportunité et l’espace de le faire.

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Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

L’équipe du Bureau international des droits des enfants

Le droit d’être entendu (aussi appelé droit à la participation) est un principe fondamental de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), traité international de référence ratifié par le Canada depuis 1991. Ce droit implique que tous les enfants, peu importe leur origine ethnique, leur genre, leur religion ou encore leur situation socio-économique, peuvent exprimer leurs opinions et être pleinement acteurs de la promotion de leurs droits au quotidien. En somme, ils ont le droit de prendre part au débat, dans les décisions qui les concernent, mais aussi sur des sujets plus vastes de société ou d’actualité. Et les adultes ainsi que les institutions qui les entourent ont le devoir de leur laisser l’opportunité et l’espace de le faire.

L’adulte de demain

L’enfant est souvent caractérisé d’adulte de demain et l’on en oublie un peu vite qu’il est avant tout le citoyen d’aujourd’hui, sujet de droit faisant partie intégrante d’une famille, d’une communauté, d’une ville, d’une nation… Il est à même de participer aux conversations, et a beaucoup à apporter par le partage de son point de vue, de ses préoccupations et de ses idées. Bien entendu, cette participation n’est pas à envisager à l’identique de celles des adultes, elle doit se faire en tenant compte de l’enfant, de son profil, de son âge, de son niveau de compréhension et adopter des outils et des espaces adaptés pour s’assurer de son bien-être en tout temps.

Crédit : Le pré de l’équité, Adrielle Spada, 11 ans

Pourtant doté d’une législation favorable à la participation de l’enfant au sein de ses institutions de protection, le Québec reste frileux à l’idée de leur laisser une place pour prendre part au débat. Dans la province, une grande attention est accordée aux enfants dont la sécurité OU le développement est menacé. La Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), en vigueur depuis 1977 et révisée plusieurs fois depuis1, définit les droits de ces enfants et notamment leur droit à la participation aux décisions relatives à leur protection. L’article 2.4.2 de la LPJ indique ainsi que « les informations et les explications qui doivent être données à l’enfant dans le cadre de la présente loi doivent l’être en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension ». Ce droit garanti légalement est notable, mais beaucoup reste à faire pour que la participation devienne la norme dans toutes les sphères de la vie d’un enfant, quelle que soit sa situation.

Selon le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, ou Commission Laurent, publié en avril 2021, le droit des enfants à être entendu est rarement respecté par les institutions protection de la jeunesse (p. 74). Les enfants sont souvent « exclus des rencontres où des décisions sont prises à leur sujet » et il y a « peu d’opportunités pour les enfants de participer à la vie citoyenne ou d’influencer les décisions politiques » (p. 67 ; 187). Au-delà de cette constatation, l’accès de l’enfant à de l’information adaptée, nécessaire à sa participation à la mise en œuvre de ses droits, reste encore un défi au Québec.

En effet, la Commission Laurent note un besoin de simplifier la loi dans un langage accessible et compréhensible pour les enfants, et pointe le manque de traduction de plusieurs ressources et services associés à la protection de l’enfant dans les langues parlées par les enfants autochtones ou issus de communautés culturelles (p. 71 ; p. 293 ; p. 308).

La mise en œuvre de la participation de l’enfant se heurte également à une vision de l’enfant qui met l’accent sur sa vulnérabilité et qui motive ainsi sa protection.

Si cette protection est effectivement incontournable pour permettre à l’enfant de vivre et grandir dans les meilleures conditions, elle minimise sa capacité à être acteur de sa propre protection et de la promotion de ses droits. Les décisions ayant des répercussions sur la vie des enfants sont alors souvent prises par des adultes, sans donner voix aux enfants qui sont pourtant les premiers concernés.

Les enfants des groupes minoritaires face à un double standard

La participation des enfants issus de groupes minoritaires (issus de la diversité culturelle, autochtones, ou encore en situation de handicap…),   pourtant   surreprésentés dans les institutions de protection de l’enfant, se heurte à des difficultés supplémentaires. À titre d’exemple, les communautés autochtones ne possèdent pas d’entité pour

porter la voix de leurs enfants au Québec, et les normes et interventions institutionnelles en vigueur   en   protection de l’enfant ne tiennent pas suffisamment compte des conceptions autochtones de protection de l’enfant (rapport de la Commission Laurent, 2021 : p. 295). Dans les interventions de protection en lien avec les enfants racisés, on constate également une faible collaboration avec des organismes et communautés proches de leurs réalités, ainsi que des pratiques non adaptées aux expériences et aux identités de ces enfants (rapport de la Commission Laurent, 2021 : p. 309- 310).

Par ailleurs, les expériences de discrimination et d’in- compréhension auxquelles ces jeunes sont parfois confrontés au sein du système de protection peuvent avoir un impact négatif sur leur confiance envers les institutions et indirectement sur leur volonté de participation. Un frein qui vient s’ajouter aux difficultés rencontrées par les enfants de façon systémique pour faire valoir leur droit à la participation.

Mieux documenter les expériences et les pratiques entourant la participation des enfants issus des groupes minoritaires est nécessaire, notamment pour en saisir la singularité et favoriser l’adoption d’approches différenciées permettant une participation inclusive et efficace.

Le droit à la participation de l’enfant au sein du système de protection se doit d’être un processus continu et inclusif pour que tous les enfants puissent faire valoir leurs droits et prendre part aux décisions qui les concernent. Cette participation repose sur trois facteurs principaux : la mise en place de mécanismes et d’instances permettant aux enfants de participer ; la création d’outils adaptés à tous les enfants et la transmission des compétences nécessaires ; la motivation et la volonté d’implication des enfants.

Chaque personne peut agir au quotidien pour intégrer les enfants aux sphères de discussion et aux prises de décisions, mais un changement plus global de la perception de l’enfant par le système censé le protéger doit être envisagé afin de réellement inscrire sa participation dans la norme. Les systèmes de protection de l’enfant sont encore trop souvent pensés par les adultes, selon ce qui les arrange dans leurs champs de compétences propres, il est temps que les enfants soient placés au cœur des systèmes de protection qui les concernent.


  1. La dernière révision de la LPJ date de décembre 2020 ou le projet de loi n 75 intitulé Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19, est venu modifier le chapitre P-34.1 de la LPJ.