Lettre : Négociations syndicales, gouvernance autoritaire et droits sociaux

Le caractère exceptionnel de la pandémie n’est pas une raison d’agir de façon précipitée dans les négociations syndicales avec le secteur de la santé.

Les syndicats jouent un rôle indéniable pour la justice sociale dans son ensemble. Le gouvernement doit s’en rappeler.

Christian Nadeau, président du conseil d’administration de la LDL

Malgré sa domination sur l’actualité mondiale, la pandémie ne peut paralyser toutes les activités politiques et économiques. C’est ainsi que le gouvernement du Québec est passé de l’idée d’une suspension des négociations en vue du renouvellement des conventions collectives des 550 000 personnes employées de l’État à un scénario accéléré où tout devrait se résoudre en quelques jours, profitant de ses pouvoirs accrus pour mettre une pression indue sur des organisations syndicales qui sont déjà submergées par la nécessité d’outiller leurs membres en temps de crise sanitaire.

Dans toute cette histoire, le gouvernement ne devrait pas oublier au moins trois choses.

Les institutions publiques

En premier lieu, s’il reçoit un appui considérable de la part de la population, c’est parce que toutes ses décisions pour la protéger rappellent le caractère central d’institutions publiques seules capables de garantir de manière concrète le droit à la santé. Ces institutions ne se limitent pas, loin de là, aux hôpitaux. À défaut de pouvoir produire ici une cartographie pédagogique de l’interaction des services publics, nous pouvons tous et toutes percevoir en temps réel cette dynamique complexe, fragile et néanmoins essentielle du secteur public. Il était de bon ton autrefois de louer les valeurs individuelles au nom du marché et de la libre concurrence en niant l’existence même du collectif et l’importance des services publics. C’est en gros le modèle érigé en système depuis les années 80. La crise actuelle nous permet de mieux concevoir aujourd’hui ce que signifie une société juste, laquelle n’est pas une simple lubie philosophique, mais un choix politique qui s’appuie grandement sur les services publics.

Ce choix, nous devons le faire maintenant et pour la suite des choses en faveur d’un secteur public solide, capable de traverser les crises et maintenir le cap sur sa mission dans les années à venir. Nul ne peut prédire ce que sera l’économie du Québec après la pandémie, mais nous n’avons jamais eu autant de preuves de l’importance d’assurer aux travailleurs et travailleuses du secteur public des conditions de travail adéquates. Nos droits sociaux sont des chimères sans le labeur quotidien de toutes ces personnes qui travaillent le plus souvent dans l’ombre.

La qualité et la quantité des services publics

En deuxième lieu, le gouvernement ne peut oublier que ce qu’il négocie maintenant dépasse de très loin les seules conditions de travail des personnes employées par l’État. Il s’agit en dernière analyse de préserver et d’augmenter la qualité et la quantité de l’ensemble des services publics. Jamais le système privé ne pourra suffire à la demande et compenser la difficulté à trouver des enseignants et des enseignantes compétentes et qui ont entre leurs mains l’avenir de notre société. Les infirmières et le personnel de la santé dénoncent depuis des années une administration excessivement lourde et focalisée sur des objectifs paramétrés par une logique entrepreneuriale sans commune mesure avec la réalité sur le terrain.

Les syndicats, acteurs de la justice sociale

En troisième lieu, il est crucial de saisir dans toute son ampleur le rôle politique des syndicats en temps de crise. En parallèle à l’État, et avec le milieu communautaire et les organisations de défense des droits, ce sont de telles organisations qui consolident le lien social. On me répondra en dénonçant le corporatisme des syndicats ou en pointant du doigt qu’une très vaste partie de la population ne jouit pas d’une protection syndicale. C’est vrai. Toutefois, le poids politique du mouvement syndical est indéniable, tout comme sa capacité de mobilisation. J’ai animé au cours des dix dernières années des conférences et des débats au sein de la majorité des organisations syndicales du Québec. Partout j’ai constaté une même volonté de redonner tout son sens au militantisme syndical.

On sous-estime le rôle que joueront les organisations syndicales dans la période de transition qui suivra la fin de la pandémie. Ce ne sont ni les entreprises privées ni les personnes les plus fortunées qui seront en mesure de se poser en interlocuteurs des gouvernements au sujet de l’organisation sociale, du transport, de la santé publique, de l’éducation, des soins aux plus vulnérables, etc. Elles ne pourront pas pour la simple et bonne raison que telle n’est pas leur fonction première, ou si elles agissent, ce ne pourra être en fin de compte que de manière superficielle. À l’inverse, la mission fondamentale des organisations syndicales est de lutter non seulement pour les droits des travailleurs et travailleuses, mais pour la justice sociale dans son ensemble, car les premiers sont des coquilles vides sans la seconde.  Si le gouvernement du Québec ne navigue pas à courte vue, il ne devra pas ignorer cette réalité.

Lettre publiée dans le journal Le Soleil, le 31 mars 2020