Alexandra Pierre et Eve-Marie Lacasse, Ligue des droits et libertés
Cette lettre ouverte est parue dans le journal Le Devoir, le 14 octobre 2020.
Depuis le début de la pandémie, les avis de la Direction de la Santé publique concernant les mesures sanitaires visant à contrôler la transmission de la COVID-19 semblent être un secret des dieux : ils demeurent cachés au commun des mortels. Et le premier ministre l’a confirmé dans les derniers jours en refusant clairement de les rendre publics. Pourtant, la transparence est plus que jamais nécessaire dans le contexte exceptionnel que nous vivons, surtout quand l’exercice de nos droits et libertés est restreint.
Entendons-nous : la crise sanitaire actuelle est exceptionnelle et appelle à des réponses exceptionnelles. Mais les choix politiques dictant certaines mesures qui restreignent nos droits semblent manquer de cohérence. Le gouvernement a besoin de faire preuve d’une plus grande transparence pour justifier la pertinence de ces choix. La Loi sur la santé publique ne peut tout justifier, même en temps de crise sanitaire.
Prenons l’exemple des rassemblements extérieurs. Il est difficile de comprendre ce qui justifie l’interdiction totale de tout rassemblement extérieur en zone rouge dans la mesure où, après 8 mois de pandémie, un consensus scientifique se dégage : le risque de transmission à l’extérieur est moindre ; la distanciation sociale et le port du masque limitent aussi ce risque. Qu’est-ce qui explique alors un revirement total de stratégie à compter du 30 septembre?
De même, on peut se demander ce qui a fait en sorte que, entre la fin août et maintenant, l’application de traçage de contacts est subitement devenue un outil valable pour lutter contre le coronavirus? Il y a moins de trois mois, en commission parlementaire, la majorité des intervenant-e-s ainsi que les député-e-s de tous les partis (même ceux et celles de la CAQ!) avaient pourtant recommandé au gouvernement de ne pas aller de l’avant avec une telle application. La technologie Bluetooth utilisée par cette application avait alors été jugée inefficace, notamment à cause de la grande quantité de fausses alarmes (faux positifs) qu’elle risque d’engendrer et du faux sentiment de sécurité qu’elle peut susciter.
Compte tenu de ces incohérences et du manque de transparence dans les décisions gouvernementales, la LDL estime que, au même titre que les décrets, les avis de la Santé publique qui motivent l’adoption de toute mesure sanitaire devraient être rendus publics afin de corriger cette situation. La diffusion des avis de la Santé publique permettrait entre autres de juger du bien-fondé des décisions gouvernementales, en toute connaissance de cause, plutôt que de devoir uniquement nous fier aux propos tenus en point de presse pour comprendre les choix politiques du gouvernement Legault. Respecter le droit à l’information des Québécois-e-s en temps de crise ne peut pas se résumer à des opérations de communication publique approximative.
Les avis de la Santé publique ne sont pas les seules informations que le gouvernement semble vouloir garder pour lui. Dès les premières semaines de l’état d’urgence sanitaire, il ne voulait pas dévoiler les scénarios d’évolution de la pandémie. Puis, au plus fort de la première vague dans les CHSLD, c’est la liste des établissements touchés qui a disparu du web. Le gouvernement a aussi tenté de suspendre la publication des bilans quotidiens de contamination au début de l’été, avant de faire marche arrière. Enfin, dès les premiers jours où nous avons commencé à entendre parler des zones jaune, orange et rouge, le gouvernement refusait de rendre publiques les mesures associées à ces zones.
Il ne faut pas être étonné si tout ceci ne suscite pas la confiance et l’adhésion au sein de la population alors que la solidarité est la seule clé qui nous permettra de vaincre ce virus.
Le Québec a adhéré aux principaux instruments internationaux de droits de la personne, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce dernier stipule que la mise en œuvre des politiques publiques doit être encadrée par le cadre de référence des droits humains, encore plus nécessaire en temps de crise. Il précise aussi que les mesures qui portent atteinte aux droits et libertés doivent être proportionnelles à la situation et justifiées. Pour répondre à ces obligations internationales, pour susciter la confiance de Québécois-e-s et leur adhésion aux mesures sanitaires, le gouvernement doit absolument faire preuve de clarté, de cohérence et surtout de transparence.