Questions et réponses sur les manifestations limitées en lien avec la COVID-19

Pour en savoir plus sur la loi qui interdit l’exercice du droit de manifester relativement à la gestion de la pandémie de la COVID-19 et aux mesures sanitaires en vigueur

 

Le 23 septembre 2021, le gouvernement du Québec a adopté la Loi établissant un périmètre aux abords de certains lieux afin d’encadrer les manifestations en lien avec la pandémie de la COVID-19 qui soulève plusieurs enjeux sur le plan du droit de manifester et la liberté d'expression.

La Ligue des droits et libertés considère qu’il n’y a pas de nécessité de légiférer pour interdire l’exercice du droit de manifester relativement à la gestion de la pandémie de la COVID-19 et aux mesures sanitaires en vigueur.

Microphone in focus against unrecognizable crowd

1 - Quelle est la position de la LDL en ce qui concerne les mesures sanitaires?

La Ligue des droits et libertés (LDL) est en faveur de la gestion de la crise sanitaire qu’est la COVID-19. Elle encourage l’adoption des mesures sanitaires prônées par la santé publique.  

La LDL considère toutefois que ces mesures devraient faire l’objet d’un débat public afin de mettre en lumière leurs angles morts et de limiter des atteintes déraisonnables aux droits et libertés des communautés les plus marginalisées de la société. À cet effet, la LDL demande la fin de l’état d’urgence sanitaire afin de rétablir les processus démocratiques dans lesquels s’implique la société civile 

2 - Qu’est-ce que la loi interdit exactement?

En ce qui concerne le LIEU :
Il est interdit de se trouver à moins de 50 mètres de :

      • Un centre de dépistage ou de vaccination pour la COVID-19 ou une clinique mobile
      • Un établissement de santé et services sociaux
      • Un CPE ou une garderie
      • Un établissement d’enseignement (préscolaire, primaire, secondaire, formation professionnelle, formation générale aux adultes et Cégeps)

En ce qui concerne les ACTIONS INTERDITES :
Il est interdit de  :

      • Manifester
      • Organiser une manifestation
      • Inciter à organiser une manifestation.

En ce qui concerne le MESSAGE DE LA MANIFESTATION :
Les sujets suivants sont visés par l’interdiction  :

      • mesures sanitaires
      • vaccination contre la COVID-19
      • toute autre recommandation relative à la pandémie de la COVID-19.

La loi précise qu’elle ne vise pas les manifestations en lien avec les conditions de travail du personnel des endroits visés.

En ce qui concerne la durée de la loi  :
La loi prend fin à l'une des deux occasions suivantes :

      • le 23 octobre 2021. En revanche, le gouvernement peut, avant l’échéance, prolonger l’effet de la loi pour une période de 30 jours autant de fois qu’il le désire;
      • avec la fin de l’état d’urgence sanitaire.

3 - Quel est l’objectif de la Loi?

Dans un message publié sur sa page Facebook le 23 septembre dernier, le premier ministre François Legault a parlé de la nécessité d’ « épargner nos enfants, les personnes malades et les travailleurs du réseau de la santé qui prennent soin des nôtres pendant une pandémie qui les affecte tous. » 

Lors des débats à l’Assemblée nationale, la ministre de la Sécurité publique a expliqué davantage l’esprit derrière le PL 105 : 

« L'esprit de cette loi-là, c'est d'empêcher le genre de manifestations qu'on a vues dernièrement. Et si on regarde le libellé de l'article 1, on parle de manifestations en lien avec les mesures sanitaires, la vaccination ou toute autre recommandation relative à la pandémie émise par les autorités de santé publique. Donc, on est dans des manifestations, à notre sens, inappropriées, avec des messages souvent inappropriés, lancés à, par exemple, des jeunes dans des cours d'école en rapport avec une certaine rébellion chez un groupuscule de citoyens qui ne veut pas qu'on porte de masque, qui ne veut pas qu'on se fasse vacciner, qui ne veut pas qu'on soit à distance, qui est contre le gouvernement, qui est… bon, dans toutes sortes de lubies.  

Alors, des contrats gré à gré et tout ça, tu sais, on pourrait tomber dans une série d'exemples précis, puis si le député de Laurier-Dorion veut le faire, on peut le faire, puis à chaque fois, je vais avoir la même réponse. Mais nos policiers, le gouvernement et l'Assemblée législative, si on adopte ce projet de loi là, veulent faire en sorte qu'il n'y ait plus de manifestation intimidante et inappropriée. Et nos policiers sont habitués de composer avec des situations, sont habitués de faire preuve de discernement, et l'objectif, ce n'est pas de sanctionner, d'arrêter ou de calomnier des gens qui auraient des raisons légitimes de faire valoir un point de vue.  

Maintenant, il reste qu'on souhaite que les manifestations se tiennent à l'écart des terrains quand il s'agit de se rebeller contre le gouvernement ou contre les mesures liées à la pandémie. » 

Un peu plus tard, elle a ajouté :  

« Une chaîne humaine sur… L'article couvre des choses qui sont en lien avec les mesures sanitaires. Et j'ajoute qu'il y a une appréciation puis un discernement de la part des policiers. Donc, si l'objet d'une manifestation puis, je dirais aussi, la manière de se comporter dans une manifestation est ouvertement… vise ouvertement à rendre les gens mal à l'aise, à faire des insinuations inappropriées, à dissuader les gens de suivre les règles, à les dissuader de se faire vacciner, à empêcher l'accès à des lieux, etc., les policiers vont intervenir. Mais nos policiers n'ont pas l'habitude, comment je pourrais dire, d'intervenir inutilement dans des manifestations pacifiques et compréhensibles de gens qui veulent simplement passer des messages qui ne sont pas des messages anti-COVID-19, antivaccins, anti-mesures sanitaires… » 

Et enfin :  

« Bien, ils pourraient le faire. C'est-à-dire que, comme je disais, il y a une question de… On se ramène à l'essence de l'article 1. L'article 1, qui renvoie à l'article 123 de la Loi sur la santé publique, vise à empêcher des manifestations déplaisantes et inappropriées qui rendent des gens inconfortables, voire qui leur empêchent d'accéder dans des lieux. J'ajoute à ça le discernement habituel et le professionnalisme de nos policiers. Et j'ajouterais même, aussi, que pour ce genre d'exemple là, que le député donne, il y a d'autres lieux, aussi, où les gens peuvent manifester, par exemple des centres de services scolaires, qui ne sont pas couverts par le projet de loi. » 

Ainsi, l’objectif de la loi est ouvertement de viser un groupe de personnes précis exprimant une opinion précise qui « dérange », soit celle d’être « anti-vaccin ». Il est hautement préoccupant qu’un gouvernement adopte une loi pour faire taire un petit groupe spécifique simplement parce que son discours est dérangeant. Il s'agit d’une restriction indue au droit de manifester et à la liberté d’expression. 

4 - Quel a été le processus d'adoption du PL 105? Comment se sont déroulés les débats?

Le gouvernement devrait normalement tenir des consultations particulières et des auditions publiques afin d’entendre le point de vue des organisations de la société civile sur un projet de loi. Cependant, avec l’accord de l’Assemblée nationale, le PL 105 a fait l’objet d’un processus d’adoption accéléré. Le PL 105 a été adopté et sanctionné rapidement, soit en moins d’une journée le 23 septembre dernier. Les organisations de la société civile n’ont pas été consultées. 

Lors des débats, des député-e-s ont souhaité élargir la portée du PL 105. Quelques exemples : 

    • Il a été suggéré par une députée de l’opposition d’ajouter  les cégeps, les universités et d’autres centres de formation dans la liste des établissements visés par l’interdiction de manifester à moins de 50 mètres. Cet amendement a finalement été modifié pour ne pas inclure les universités. Il a été adopté en suivant un argumentaire selon lequel les étudiant-e-s mineur-e-s ne devaient pas être mis-e-s en contacts avec les manifestant-e-s « anti-vaccin ». À ce sujet, la ministre de la Sécurité publique a précisé : 

« Les jeunes, il y en a, des jeunes mineurs, au cégep, c'est des jeunes en âge de se faire vacciner, qu'on veut qu'ils se fassent vacciner. Ça fait que d'aller avoir des gens, près de la porte de l'école, qui vont venir essayer de les dissuader ou juste faire des esclandres, comme je disais tout à l'heure, ce n'est pas de nature à encourager nos jeunes à suivre les règles de la Santé publique puis à se faire vacciner. Et, bien qu'il y ait des jeunes mineurs et des jeunes majeurs dans le cégep, si j'ai le choix entre en faire plus pour protéger nos jeunes ou en faire moins sous prétexte qu'il y a des adultes là-dedans, je préfère, de loin, qu'on en fasse plus pour nos jeunes. » 

Cet argumentaire apparait incohérent avec l’objectif mis de l’avant publiquement selon lequel le PL 105 vise à protéger la vulnérabilité des enfants et des jeunes adolescent-e-s.  

    • Il a été suggéré par un député de l’opposition de modifier l’interdiction afin qu’elle vise spécifiquement les personnes manifestant « contre » les mesures sanitaires, plutôt que de viser l’ensemble des manifestations « en lien avec » les mesures sanitaires. L’amendement a finalement été rejeté par l’Assemblée nationale. 
    • Il a été suggérépar une députée de l’opposition d’ajouter une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 6 mois relativement à l’infraction créée par l’article 1er du PL 105. Celle-ci a précisé que cet amendement ne s’appliquerait qu’à une poignée de manifestant-e-s : 

« Et, l'autre enjeu, puis je vous demande vraiment de réfléchir là-dessus, l'individu, là, ça fait cinq fois déjà, il a reçu des amendes, il s'en contrefout, puis il les cumule à la maison. En ce moment, le projet de loi, qu'est-ce qui va faire en sorte, une fois qu'il est adopté comme ça... Même si, mettons, on mettait les amendes au double, dans le cas de certaines personnes... je ne parle pas de l'ensemble, de certaines personnes qui ne veulent pas entendre raison, eux autres, là, à un moment donné, c'est que ce n'est pas l'amende qui va faire la job, ça va être la peine d'emprisonnement. Puis c'est là, à ce moment-là, aussi, que le tribunal, lorsqu'il y a un individu qui est amené devant lui, a d'autres pouvoirs, tels que, par exemple, là, dire : Parfait, est-ce que ça prendrait aussi une évaluation psychiatrique? Ça là, c'est le tribunal... Ça ne veut pas dire que la personne va avoir son six mois, c'est qu'on donne un outil, oui, aux policiers, mais aussi au tribunal. Et, en ce stade-ci, le tribunal n'a pas cet outil. » 

L’amendement a été rejeté par l’Assemblé nationale.  

5 - Quelles alternatives sont déjà en place?

La Loi sur les services de santé et les services sociaux interdit d’entraver l’accès d’une personne à un établissement de santé et services sociaux (art. 9.2). 

La Loi sur l’instruction publique interdit d’entraver l’accès d’une personne de moins de 18 ans à un établissement scolaire (art. 18.0.1). 

Le Code criminel interdit les attroupements illégaux (art. 63), les émeutes (art. 64), l’intimidation (art. 423), les menaces (art. 264.1) et les voies de fait (art. 265). 

En raison de ces outils législatifs déjà en place, il n’y a pas de nécessité d’en ajouter de nouveaux. 

6 - Comment s’exercent la liberté d’expression et le droit de manifester de manière générale?

Les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique sont inscrits dans les Chartes canadienne et québécoise. Les valeurs sous-jacentes à ces droits sont : 

      • le débat démocratique ;
      • la recherche de la vérité ;
      • l’épanouissement personnel.

La manifestation est une façon de mettre en action ces valeurs. Le message véhiculé dans la manifestation est toujours valide, même s’il est impopulaire, controversé ou basé sur un discours anti-scientifique.  

D’ailleurs, le choix des lieux de la manifestation fait pleinement partie du message. 

7 - Quels impacts la loi a-t-elle sur le droit de manifester?

Lors des débats écourtés sur le PL 105 à l’Assemblée nationale, le 23 septembre 2021, des membres du gouvernement et des oppositions présent-e-s déclaraient ouvertement que l’objectif de la loi est de viser un groupe de personnes précis exprimant une opinion précise, soit celle d’être « anti-vaccin ». On y a parlé de « manifestations dérangeantes » et de personnes « contre le gouvernement » (voir la question 3).  

Il est extrêmement préoccupant que le gouvernement tienne ouvertement un discours visant à faire taire une dissidence parce qu’elle dérange. En termes juridiques, on pourrait parler de discrimination basée sur les convictions politiques.  

Ce genre de discours pourrait très facilement être repris pour cibler d’autres opinions politiques qui dérangent l’ordre établi, telles que la lutte contre les changements climatiques ou les manifestations contre la brutalité policière. Dans une démocratie en santé, même les opinions les plus dérangeantes peuvent être exprimées.  

8 - Pourquoi ne peut-on pas s’inspirer des périmètres établis autour des cliniques d’avortement?

Il est inapproprié de comparer les luttes pour l’accès sans entrave aux cliniques d’avortement et les manifestations ponctuelles d’opposition aux mesures sanitaires.  

Les cliniques d'avortement sont un lieu de bataille historique pour les luttes féministes, notamment pour le droit à l’avortement. Il y a des siècles d'intimidation et de dissuasion derrière les manifestations aux abords des cliniques d'avortement qui justifient de vouloir protéger les femmes, les hommes trans et les personnes non binaires qui y accèdent en créant un périmètre de sécurité de 50 mètres.  

9 - Les enfants ont-ils besoin d’être protégés?

Les écoles sont historiquement des lieux de savoir, où s’exerce le droit à l’éducation. Il s’agit d’endroits où l’enfant a le droit d’être exposé à des points de vue contradictoires, que ceux-ci soient enseignés en classe ou à l’extérieur. Différencier le traitement des opinions auxquelles sont exposés les enfants comporte des risques pour le développement de leur discernement et de leur jugement face aux différents courants de pensée. 

Cependant, l’usage de la violence, incluant l’intimidation, ne peut être une manière de faire: la législation se prononce déjà à cet effet (voir la question 5). Aussi, en ce qui concerne l’accès aux écoles et l’entrave au droit à l’éducation qui pourrait survenir lors d’une manifestation, il existe déjà des mesures législatives en place pour s’assurer que ce droit fondamental soit respecté (voir la question 5).  

10 - Le personnel a-t-il besoin d’être protégé?

En ce qui concerne l’accès sécuritaire du personnel de la santé et des services sociaux ou de l’éducation à leur milieu de travail, il existe déjà des mesures législatives en place pour s’assurer que celui-ci puisse être exercé de manière sécuritaire (voir la question 5). 

11 - Quel est vraiment le problème?

Depuis mars 2020, le gouvernement du Québec gère la crise de COVID-19 de manière unilatérale, sans consulter la population et sans tenir de débats publics. Le maintien de l’état d’urgence sanitaire depuis maintenant 19 mois est un des moyens par lequel le gouvernement agit.  

En tenant un discours paternaliste et en n’établissant pas un dialogue démocratique sain, le gouvernement a créé et exacerbé des tensions au sein de la population. 

Ce faisant, il a antagonisé les personnes critiquant les mesures sanitaires du reste de la population en créant l’image des « conspirationnistes » et des « anti-vaccins ». Or, les critiques exprimées par plusieurs personnes sont justement l’expression de craintes et d’une perte de confiance envers les institutions gouvernementales. Plutôt que de leur tendre la main et de rétablir des canaux de communication à la suite d’une situation qu’il a lui-même causée, le gouvernement choisit de les démoniser davantage en limitant leur droit fondamental d’exprimer leur dissidence.