Lettre publiée dans Le Devoir, le 27 septembre 2024
Sur le profilage racial, ça bloque à la Ville de Montréal
Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
Lynda Khelil, responsable de dossiers politiques, Ligue des droits et libertés
Dans une lettre relayée par Le Devoir le 24 septembre, le commandant Patrice Vilceus, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), annonçait sa retraite en qualifiant le racisme et le profilage racial de « cancer qui ronge l’organisation ».
Cette déclaration choc ne surprend pas. Elle fait écho à un constat important du second rapport sur les interpellations policières (street checks) commandé par le SPVM et rendu public en juin 2023 : de nombreux policiers nient l’existence d’un problème de profilage racial au sein de la police. Selon eux, il s’agit d’un problème de perception erronée.
Le directeur du SPVM, Fady Dagher, avait rejeté l’unique recommandation des chercheurs en la qualifiant de « symbolique » : un moratoire sur les interpellations policières, une mesure concrète qui apporte des effets bénéfiques immédiats. Le SPVM persiste à miser sur de la formation et du recrutement, des mesures qui sont en place depuis plus de 30 ans sans avoir produit de changements importants. L’administration municipale est, quant à elle, restée plutôt silencieuse, abdiquant sa responsabilité de protéger les droits et libertés des Montréalais.
L’entrée en fonction du nouveau directeur du SPVM en 2022 n’a manifestement rien changé. On peut même se demander si les espoirs quant à la présence d’une personne racisée à ce poste ont ralenti la lutte collective contre le profilage racial, en laissant la place aux appels à « lui laisser sa chance ».
Il faut le rappeler : le profilage racial est un problème systémique. Cela implique de s’attarder aux nombreuses pratiques policières qui génèrent du profilage racial et des violations aux droits de la personne (droit à l’égalité, droit à la vie et à la sécurité, droit à la liberté, droit à la dignité).
L’une de ces pratiques est l’interpellation policière, qui se traduit par des contrôles d’identité arbitraires attentatoires aux droits qui visent de manière disproportionnée les personnes autochtones, noires, racisées et en situation de marginalité dans l’espace public. Il faut les interdire une bonne fois pour toutes.
La juge Dominique Poulin, de la Cour supérieure, déclarait d’ailleurs dans sa décision sur l’action collective de la Ligue des Noirs du Québec que la Ville de Montréal « contribue au phénomène du profilage racial en demandant à ses policiers de faire de la prévention et de procéder à des interpellations, dans un contexte de racisme systémique ».
Les changements tangibles et systémiques nécessaires ne viendront pas de l’institution policière, que ce soit du SPVM ou de tout autre corps policier. Rappelons cette phrase-choc du juge Michel Yergeau dans la décision Luamba sur les interceptions routières sans motif de personnes noires et racisées : « Les droits garantis par la Charte ne peuvent être laissés plus longtemps à la remorque d’un improbable moment d’épiphanie des forces policières. » Face à l’inertie de cette institution, les autorités politiques doivent cesser d’être complaisantes avec la police et prendre leurs responsabilités d’imposer les changements nécessaires au respect des droits de la personne.
Depuis l’automne 2023, la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal piétine sur la question des interpellations. Plusieurs organisations exigent qu’elle présente à la population les résultats du second rapport et organisent un débat public à ce sujet, ce à quoi elle s’est engagée en août 2023. Puis, revirement de situation : la commission a évoqué plusieurs prétextes pour retarder la tenue d’une séance publique, comme le fait qu’un des chercheurs devait témoigner lors de l’action collective de la Ligue des Noirs ou bien des difficultés à obtenir son propre quorum.
Aucune date n’a encore été annoncée. À l’évidence, il y a un blocage au sein de l’appareil municipal, qui retarde indûment sa tenue. D’où provient-il ? Du bureau de la mairesse ? Du SPVM ? De la Direction générale adjointe à la sécurité urbaine et à la conformité ?
Alors que l’administration montréalaise assure prendre au sérieux le problème du profilage et du racisme systémique, nous proposons de considérer la pratique des interpellations comme un baromètre de sa volonté d’agir réellement. Le jour où la Ville annoncera l’interdiction des interpellations policières, nous pourrons y croire !
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En savoir plus : Campagne pour l’interdiction des interpellations policières au Québec