Le Canada à l’examen pour ses détentions arbitraires

Au terme de sa visite au Canada en mai 2024, la LDL soumet un mémoire et dix recommandations au Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire sur la situation au pays en matière de la détention administrative des demandeurs d’asile et des personnes migrantes.

Lettre publiée dans Le Soleil, le 23 mai 2024

Le Canada à l’examen pour ses détentions arbitraires

Laurence Guénette, porte-parole de la Ligue des droits et libertés
Camille Marquis-Bissonnette, membre du comité de travail sur les droits des migrant-e-s de la Ligue des droits et libertés
Aurélie Lanctôt, membre du comité de travail sur les droits des migrant-e-s de la Ligue des droits et libertés
Laurence Lallier-Rousseau, membre du comité de travail sur les droits des migrant-e-s de la Ligue des droits et libertés
François Crépeau, membre du comité de travail sur les droits des migrant-e-s de la Ligue des droits et libertés

Le Groupe de travail sur la détention arbitraire achève ces jours-ci une visite du Canada avec un objectif bien particulier. Mandaté par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, il doit étudier in situ le phénomène des détentions arbitraires au Canada, notamment avec l’aide d’organisations de la société civile comme la nôtre, et engager un dialogue avec le gouvernement à ce sujet.

Ultimement, le but est d’inciter le Canada à respecter ses engagements et à ajuster ses pratiques aux normes du droit international des droits humains. Autrement dit, le portrait du Canada en matière de détention arbitraire est loin d’être reluisant.

Au Canada, il est extrêmement courant que des personnes migrantes soient détenues pour des motifs administratifs. Elles sont privées de leur liberté, non pas après avoir été reconnues coupables d’un crime ou d’une infraction, mais en raison de la simple détermination d’un motif administratif établi par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

Pour la Ligue des droits et libertés, la détention des migrant-e-s pour des motifs administratifs devrait être proscrite. Si la pratique est maintenue, elle doit constituer une mesure exceptionnelle de tout dernier recours, conformément à ce que prévoit le droit international. Pourtant, au Canada, la détention des migrant-e-s a tout du scénario par défaut. En 2023, un total de 5 248 personnes migrantes a été détenues à travers le pays.

Les motifs administratifs qui permettent leur détention sont nombreux et recouvrent un grand nombre de situations dans lesquelles les personnes migrantes se retrouvent fréquemment à leur arrivée au Canada. Rappelons que ces personnes arrivent au Canada en quête d’une dignité humaine et d’une sécurité que ne leur permettent pas les conditions socio-économiques et politiques de leur pays. Se retrouver ainsi détenues pour des raisons strictement administratives revêt une grande violence en soi, une violence qui prend plusieurs formes et qui est nécessairement aggravée par les conditions de détention infligées aux personnes, lesquelles ont un sérieux impact sur leur santé physique et psychologique.

Les migrant-e-s en détention sont souvent sujettes aux pratiques disciplinaires propres aux institutions carcérales, telles que l’absence d’accès au téléphone, l’isolement cellulaire fréquent et prolongé sur une trop longue durée, des confinements prolongés et à répétition, sans accès à l’extérieur, aux douches, sans contact humain significatif. Les mesures de contention sont également utilisées; une personne migrante détenue pour un motif administratif affirme avoir été amenée à l’hôpital pour des soins, enchainée aux mains, aux pieds et à la taille, une situation très humiliante.

La détention d’enfants et la séparation des familles constituent une autre pratique très préoccupante. L’ASFC use d’un euphémisme pour parler des enfants accompagnant leur parent détenu: les enfants sont considérés comme étant « hébergés » dans les centres de détention. Ces enfants « hébergés », 30 au pays en 2023, subissent les mêmes conditions carcérales que leurs parents, bafouant plusieurs de leurs droits, notamment à la liberté, à l’éducation et au développement.

La détention des personnes migrantes pour des motifs administratifs mène à la séparation de nombreuses familles, allant à l’encontre des droits de l’enfant et de son intérêt supérieur. Action Réfugiés Montréal a dénombré en 2019, pour le Québec seulement, « plus de 182 enfants séparés d’un parent détenu, incluant 7 bébés nés pendant que leurs pères étaient détenus et 124 enfants séparés d’un de leurs parents après que la famille ait traversé la frontière afin de faire une demande d’asile ».

Le mémoire de la LDL soumis au Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire porte à son attention plusieurs autres enjeux. Il met en relief la brutalité et l’irrationalité de la détention des migrant-e-s pour des motifs administratifs, et dénonce l’inquiétante opacité qui l’entoure, laquelle est loin d’être favorable au respect des droits humains.

Demander l’asile est un droit. Traverser une frontière de façon irrégulière ne constitue pas un crime. Il est temps que le Canada cesse de traiter les personnes migrantes comme une menace, tant dans le discours public que dans ses politiques. Le gouvernement doit plutôt se rappeler ses obligations de respecter et protéger les droits humains, dont elles sont titulaires, peu importe leur statut migratoire. Mettre fin à leur détention pour des motifs administratifs est nécessaire et urgent.