L’importance du respect des droits humains dans le soutien à domicile et le chèque emploi-service

La précarité des travailleuses en soutien à domicile payées par le programme chèque emploi-service met en péril les soins à domicile des personnes en situation de handicap physique ou intellectuel.

L’importance du respect des droits humains dans le soutien à domicile et le chèque emploi-service

Un carnet rédigé par Hugo Vaillancourt, agent de défense collective des droits, dossier Santé et services sociaux, au sein de l’organisme Ex aequo. Ex aequo est un organisme montréalais qui se consacre depuis 1980 à la promotion et à la défense des droits des personnes ayant une déficience motrice. L’organisme mène en ce moment une campagne de lettres aux député-e-s de l’Assemblée nationale pour exiger de meilleures conditions pour les travailleuses à domicile du chèque emploi-service.

Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.


Alors que le gouvernement promet un virage vers le soutien à domicile, le chèque emploi-service, un programme peu connu, prend une place grandissante dans la livraison de ces services au Québec. Les personnes ayant recours au soutien à domicile font appel au chèque emploi-service pour embaucher leurs propres préposé-e-s, dont le ministère de la Santé et des Services sociaux paie le salaire, plutôt que de recevoir leur soutien à domicile à travers les équipes d’un CLSC.

En 2020-2021, 39 % des heures totales de services d’aide à domicile au Québec étaient offertes par l’entremise du chèque emploi-service (Boivin et coll., 2023). On recourt davantage à ce programme dans plusieurs centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS et CIUSSS) pour répondre aux besoins croissants en soutien à domicile (CCOMTL, CCSMTL, CEMTL, CNMTL et COMTL, 2022). Dans certains de ceux-ci, plus de la moitié des heures totales offertes en aide à domicile l’étaient par le biais du chèque emploi-service en 2022-2023. Pourtant, peu de gens en ont entendu parler. Le budget du programme ne dépassait pas 8,4 % du budget provincial total du soutien à domicile en 2019-2020 (CSBE, 2023a), malgré son importance dans la livraison d’heures de services dans ce poste budgétaire.

Pour de meilleures conditions de travail

Le programme n’est pas sans controverse. Il s’inscrit dans la tendance d’un désengagement du réseau public et d’une privatisation du soutien à domicile au Québec (Lavoie-Moore, M., 2021). Sous sa forme actuelle, il entretient aussi une précarité des conditions de ses travailleuses, presque exclusivement des femmes, créant des enjeux en matière des droits du travail (Boivin et coll., 2023). Le gouvernement les prive de plusieurs protections minimales en matière de normes du travail, car la loi les traite comme des gardiennes et des travailleuses domestiques. Le ministère de la Santé et des Services sociaux leur établit aussi un salaire beaucoup plus bas que dans le réseau public ou au sein des agences privées d’aide à domicile. Les personnes usagères du chèque emploi-service revendiquent d’ailleurs de meilleures conditions pour leurs travailleuses. Il s’agit tant de reconnaitre le travail crucial que celles-ci accomplissent que de mettre fin aux difficultés de recrutement, dans un marché d’une main-d’œuvre insuffisante en soutien à domicile, où les secteurs publics et privés sont en concurrence (CSBE, 2023a).

Néanmoins, le chèque emploi-service provient d’une demande des personnes en situation de handicap physique ou intellectuel, afin d’avoir une solution de rechange aux services du réseau public, sur lesquels elles ont peu de contrôle. Le programme permet de choisir la personne qui prodiguera des soins qui peuvent être intimes, de gérer en fonction de ses besoins personnels l’horaire des préposé-e-s, ce qui permet une participation active à la société (AQRIPH, 2009).

Pour des meilleures conditions de soins

Les membres d’Ex aequo nous parlent régulièrement de situations où les travailleuses gérées par le CLSC viennent les transférer du lit à leur fauteuil roulant aussi tard que 10 h le matin pour le lever, puis faire l’inverse aussi tôt que 19 h pour le coucher. Ils mentionnent le haut roulement du personnel, qui doit réapprendre chaque fois les besoins spécifiques de chaque personne. Les gens nous parlent des absences et des retards fréquents des travailleuses, sans qu’elles aient des recours efficaces dans ces situations. On parle ici d’absence de la personne qui doit venir nous aider à quitter le lit, nous laver, nous habiller, manger. Sans ce soutien, la capacité d’une personne à poursuivre ses études, faire du bénévolat, se rendre à son emploi, remplir son rôle de parent et passer du temps de qualité avec ses proches est compromise. Ces situations poussent les personnes à avoir recours au chèque emploi-service plutôt qu’aux services du réseau public pour assurer des éléments centraux au respect de leurs droits.

Des droits humains à respecter

Un soutien à domicile adéquat pour les personnes en situation de handicap est essentiel au respect du droit à la santé et des principes généraux de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (HCDH, n. d.) :

  • le respect de la dignité intrinsèque, de l’autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix, et de l’indépendance des personnes […] ;
  • la participation et l’intégration pleines et effectives à la société ;
  • le respect de la différence et l’acceptation des personnes handicapées comme faisant partie de la diversité humaine et de l’humanité ;
  • l’égalité des chances […] ;
  • l’égalité entre les hommes et les femmes […]. (Article 3 Principes généraux)

Choisir pour entretenir la dignité

Pour assurer son autonomie, participer pleinement à la société et jouir de l’égalité des chances, une personne en situation de handicap veut vivre au même rythme que le reste de la société et pouvoir vaquer à ses occupations comme bon lui semble. Être en mesure d’organiser son soutien à domicile autour de ses activités quotidiennes, plutôt que l’inverse, est indissociable de la liberté de faire ses propres choix – et non que le CIUSSS le fasse pour nous. Il importe de pouvoir choisir la personne qui nous prodigue des soins intimes, avoir une régularité et une prévisibilité dans l’horaire des préposé-e-s, puis avoir l’opportunité de développer un lien de confiance avec celles-ci, tout cela reste essentiel à la dignité des personnes. On entretient cette même dignité quand on a le pouvoir d’agir lorsque les travailleuses du soutien à domicile s’acquittent mal de leur rôle crucial.

Une société qui considère les personnes en situation de handicap comme étant intégrales à la diversité humaine doit aussi assurer l’accessibilité à un soutien à domicile de qualité. Ce soutien doit répondre aux besoins de la personne tels qu’elle les nomme. Il s’agit d’une condition essentielle à la reconnaissance de son humanité. D’ailleurs, les femmes rapportent plus souvent des besoins en matière d’aide aux activités de la vie quotidienne (CSBE, 2023b). L’égalité entre les femmes et les hommes est donc compromise quand les services de soutien à domicile demeurent insuffisants et médiocres.

L’urgence d’améliorer le chèque emploi-service

Les lacunes historiques et actuelles du soutien à domicile fourni par le réseau public compromettent donc ces principes. Les personnes en situation de handicap ont milité pour obtenir le chèque emploi-service. Elles cherchent à rétablir l’intégrité de ces principes, au cœur du respect de leurs droits humains, lorsqu’elles choisissent d’avoir recours à ce programme. Dans un meilleur monde, le réseau public garantirait un soutien à domicile en quantité et en qualité suffisante. Il mettrait les personnes usagères au centre des décisions quant à l’organisation de leurs services. La mise en place de ces conditions demeure indispensable au respect des droits des personnes en situation de handicap. Mais d’ici là, le chèque emploi-service reste le seul programme à ce jour garantissant ce respect. C’est pourquoi le gouvernement doit agir pour mettre fin à la précarité des travailleuses du chèque emploi-service et leur offrir de bonnes conditions. Cette reconnaissance de leur travail est nécessaire à la viabilité du programme.

La plateforme en ligne suivante vous permet en deux minutes d’écrire à votre député-e de l’Assemblée nationale pour exiger que le gouvernement mette fin à son inaction. En ligne : https://win.newmode.net/exaequo/ces


Références

AQRIPH (Alliance Québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées). (2009). « Il est moins cinq pour le chèque emploi-service » : État de situation et revendications maintes fois répétées auprès du gouvernement du Québec [mémoire].

Boivin, L., Bernstein, S., & Verville, M.-H. (2023). Un travail de soins à valoriser : Pour une pleine protection des travailleuses employées via le programme québécois d’Allocation Directe/Chèque Emploi-Service — Rapport de recherche. Au bas de l’échelle. https://www.aubasdelechelle.ca/publications/recherches/

CCOMTL* (CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal). (2022, 15 décembre). Rapport périodique des indicateurs de gestion. Gouvernement du Québec. Données obtenues par demande d’accès à l’information au CCOMTL (décision du 6 février 2023).

CCSMTL* (CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal). (2022, 5 décembre). Rapport périodique des indicateurs de gestion. Gouvernement du Québec. Données obtenues par demande d’accès à l’information au CCSMTL (décision du 21 décembre 2022).

CEMTL* (CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal). (2022, 20 décembre). Rapport périodique des indicateurs de gestion. Gouvernement du Québec. Données obtenues par demande d’accès à l’information au CCSMTL (décision du 17 janvier 2023).

CNMTL* (CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal). (2023, 16 janvier). Rapport périodique des indicateurs de gestion. Gouvernement du Québec. Données obtenues par demande d’accès à l’information au COMTL (décision du 7 février 2023).

COMTL* (CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal). (2022, 15 décembre). Rapport périodique des indicateurs de gestion. Gouvernement du Québec. Données obtenues par demande d’accès à l’information au COMTL (décision du 18 avril 2023).

CSBE (Commissaire à la santé et au bien-être). (2023a). Bien vieillir chez soi — Tome 1 : Comprendre l’écosystème. https://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2023/Rapportpreliminaire_SAD/CSBE-Rapport_Preliminaire_SoutienDomicile_V2.pdf

CSBE (Commissaire à la santé et au bien-être). (2023 b). Bien vieillir chez soi — Tome 2 : Chiffrer la performance. https://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2023/Rapportpreliminaire_SAD/CSBE-Tome2_Rapport_Preliminaire_SoutienDomicile.pdf

HCDH (Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme). (n. d.). Convention relative aux droits des personnes handicapées. Nations Unies. Récupéré le 29 février 2024 à partir de https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-rights-persons-disabilities

Lavoie-Moore, M. (2021, 27 oct.). Le chèque emploi-service améliore-t-il les services à domicile au Québec ? IRIS. https://iris-recherche.qc.ca/publications/cheque-emploi-service/

*Les documents obtenus de chacun des CIUSSS par des demandes d’accès aux documents sont partagés par Ex aequo ici. https://drive.google.com/drive/folders/1HpGke9csJFmhvLLkLp7LXZ25FxKLHk_R?usp=drive_link