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Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022
Mona Paré, professeure, Université d’Ottawa, section de droit civil, directrice du Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits de l’enfant (LRIDE)
La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) est le fruit de longues négociations qui ont eu lieu aux Nations Unies entre 1979 et 1989 et qui ont abouti à son adoption le 20 novembre 19891. Ces négociations ont permis de développer un texte qui est à la fois d’avant-garde et un compromis reflétant les tensions et les priorités présentes à l’époque. Composée de 54 articles, la CDE se veut une convention complète, garantissant les droits de l’enfant dans tous les aspects de sa vie, sans discrimination. L’examen de sa mise en œuvre est réalisé par le Comité des droits de l’enfant, qui fait des recommandations aux États pour améliorer la mise en œuvre de la Convention.
Plusieurs articles s’appuient sur des droits déjà énoncés dans la Déclaration des droits de l’enfant de 1959. Ceux-ci font généralement consensus, car ils se concentrent sur la protection de l’enfant ou ses droits civils, tels que le droit de l’enfant à la vie et au développement, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à la protection contre les mauvais traitements ou le droit à un nom et à une nationalité. Là où la Convention innove et où le consensus est plus difficile à atteindre est la reconnaissance de libertés fondamentales et de certains droits politiques aux enfants. Ainsi, la CDE reconnait à l’enfant la liberté d’expression, d’association et de religion, par exemple. D’aucuns sont d’avis que l’on ne devrait pas reconnaitre à l’enfant des droits qu’il n’a pas la capacité d’exercer et que cette reconnaissance détourne l’attention des droits de protection et du rôle important des parents dans la vie de l’enfant2. En somme, la CDE est d’une part un instrument qui affirme le fait que les enfants sont des personnes et des détenteurs de droits et libertés, et d’autre part un instrument qui permet de prendre en compte la condition particulière de l’enfant comme un être en développement, dépendant des adultes, et d’adapter ainsi les droits à sa situation.
Le Canada a ratifié la Convention en 1991, après consultations avec les provinces. Le Québec s’est déclaré lié par décret le 9 décembre 19913. Ainsi, à la fin de 2021, nous achevons 30 ans de mise en œuvre de la CDE. Le respect des obligations découlant de traités internationaux s’impose aux États parties, qui, selon l’article 4 de la CDE, doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la Convention.
Avec 196 États parties, la CDE est la plus ratifiée parmi toutes les conventions internationales de protection des droits de la personne4. Ainsi, la cause des enfants fait consensus dans la société internationale. Pourtant, il ne fait aucun doute que les droits des enfants continuent d’être violés. On a certainement fait des progrès dans le monde au niveau de la scolarisation des enfants et de la diminution de la mortalité infantile, mais il suffit d’examiner les rapports d’organisations internationales pour se rendre compte que les enfants, qui sont compris comme toutes les personnes de moins de 18 ans5, sont encore mal traités, exploités et mal nourris6. Qu’est-ce qui peut expliquer cette situation ? Ne sommes-nous pas au moins bien avancés dans la protection des droits de l’enfant au Canada et au Québec ?
La mise en œuvre des droits de l’enfant : une question d’égalité
Le problème principal est une question d’inégalité. Dans toutes les sociétés du monde, les enfants n’ont pas la même capacité juridique que les adultes. Ils peuvent difficilement faire valoir leurs droits. N’ayant pas le droit de vote, ils n’ont pas non plus de poids politique pour faire pression sur les gouvernements. Ainsi, on a beau leur reconnaitre des droits, ceux-ci restent souvent théoriques et mal appliqués.
On ne consulte pas les enfants dans le développement de politiques et de lois ; on ne les place pas au cœur des décisions et des allocations budgétaires ; on s’attend à ce que leurs parents ou tuteurs appliquent et fassent respecter leurs droits.
Au Canada, la mise en œuvre des droits de l’enfant fait face à d’autres obstacles encore. Non seulement le Canada ne reconnait pas l’application directe des traités internationaux en droit interne, mais en plus le système fédéral, avec le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux/territoriaux, complique la mise en œuvre d’une convention de type holistique, demandant une coopération entre tous les paliers de gouvernement. Par exemple, la CDE reconnait à l’enfant le droit à l’éducation du niveau primaire au niveau supérieur et dicte les objectifs de l’éducation.
Un enfant qui considérerait que la politique de discipline dans son école viole la CDE n’aurait aucun droit de recours sur la base de la Convention.
De plus, le gouvernement fédéral, en ratifiant la Convention, n’a aucun moyen de s’assurer que chacune des provinces et territoires se conforme aux exigences du droit international et, a fortiori, il a encore moins de droit de regard sur ce que font les commissions/conseils/districts scolaires, les collèges et les universités. Un autre obstacle à la mise en œuvre de la CDE est l’inégalité entre les droits de l’enfant et les droits de la personne au Canada7. En effet, on les distingue généralement, les premiers n’ayant pas le même statut que les seconds. Les droits de l’enfant sont souvent compris comme les droits spécifiques que l’on accorde aux enfants dans des contextes particuliers.
Au Québec, on reconnait certains droits aux enfants dans le Code civil et dans la Loi sur la protection de la jeunesse. Ces droits ne font pas partie des droits de la personne protégés au niveau constitutionnel et quasi constitutionnel. Bien que la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise) inclue l’article 39 sur les droits de l’enfant, celui-ci est bien insuffisant, ne reconnaissant à l’enfant que le droit à la protection par ses parents. De plus, ce droit est placé dans le chapitre des droits économiques et sociaux, qui n’ont pas le même statut que les droits considérés comme fondamentaux8. Mais ne peut-on pas dire que tous les droits protégés par la Charte canadienne des droits de la personne et la Charte québécoise s’appliquent aux enfants ? En principe, oui.
Cependant, il suffit d’examiner la jurisprudence en matière de discrimination ou des droits garantis par la Charte canadienne pour se rendre compte que les enfants sont rarement les
principaux concernés par les causes présentées devant les tribunaux.
Tous ces obstacles auxquels font face les enfants dans la reconnaissance et l’exercice de leurs droits sont accentués par le fait que le Canada n’a pas ratifié le troisième Protocole facultatif à la CDE qui permet l’examen d’allégations de violations aux droits de l’enfant par le Comité des droits de l’enfant. Ainsi, on peut affirmer que malgré un discours en faveur des droits de l’enfant, dans la pratique, on n’a pas adhéré à la nouvelle philosophie des droits de l’enfant reconnaissant ceux-ci comme détenteurs des droits de la personne et permettant l’adaptation des droits à leur endroit.
La discrimination dans l’application des droits de l’enfant
Les enfants ne bénéficient donc pas des droits de la personne sur un pied d’égalité avec les adultes. De plus, l’application égale des droits de l’enfant entre différents groupes d’enfants est encore loin d’être atteinte au Canada. La CDE inclut la non-discrimination parmi ses principes généraux applicables à toute la Convention, les autres principes étant l’intérêt supérieur de l’enfant, la vie, la survie et le développement, ainsi que le respect de l’opinion de l’enfant9. L’article 2 de la CDE dispose que les droits énoncés dans la Convention doivent être appliqués sans aucune distinction à tous les enfants. Les États doivent prendre aussi des mesures pour protéger les enfants contre toute forme de discrimination.
L’examen de la mise en œuvre de la CDE par le Comité des droits de l’enfant démontre des problèmes systémiques et récurrents dans la mise en œuvre de la Convention. Le suivi de la mise en œuvre de la CDE au Canada a été effectué à trois reprises et le quatrième examen aura lieu en mai 2022. Depuis le début, le Comité note l’application inégale des principes généraux dans le pays et le fait que ces principes n’ont pas été bien inclus dans la législation et les politiques10.
Lors du dernier examen périodique en 2012, le Comité note la fragmentation du droit et « des incohérences dans la mise en œuvre des droits de l’enfant sur le territoire [canadien], de sorte que des enfants dans des situations analogues font l’objet de disparités dans la réalisation de leurs droits selon la province ou le territoire où ils résident11 ».
Il y a donc une application inégale des droits de l’enfant selon leur lieu de résidence au Canada. Les différences entre enfants sont encore plus marquées si l’on s’intéresse à des groupes d’enfants en particulier. Depuis le premier examen en 1995, jusqu’à aujourd’hui, le Comité a souligné la discrimination systémique que vivent certains groupes d’enfants et notamment les Autochtones, les Noirs, et les enfants migrants. Le Comité est toujours préoccupé par la surreprésentation des enfants autochtones et afro-canadiens dans le système de justice pénale et les structures de protection de l’enfance ; il note aussi le manque d’accès aux services pour les enfants vulnérables incluant les enfants migrants ; il fait part de ses inquiétudes au sujet de la pauvreté des enfants causée par les inégalités de revenus, « la répartition inéquitable des avantages fiscaux et des transferts sociaux en faveur des enfants12 ». Les travaux de l’UNICEF montrent aussi le résultat qu’a l’inégalité des revenus sur la situation des enfants au Canada. En effet, parmi 38 pays considérés comme riches, le Canada se situe au 30e rang pour ce qui est du bien-être des enfants, entre la Grèce et la Pologne13.
Pour une mise en œuvre efficace
Vu ce constat décevant après 30 ans, peut-on espérer un véritable respect des droits de l’enfant et une mise en œuvre efficace de la CDE ? Le Canada a soumis son nouveau rapport qui sera examiné prochainement par le Comité des droits de l’enfant, à la lumière des rapports alternatifs préparés par la société civile et dépeignant une réalité moins reluisante que celle présentée par les gouvernements. Le rapport étatique fait état des accomplissements des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour l’amélioration de la situation des enfants. Comme exemple des progrès accomplis, on y mentionne entre autres le fait que le Québec a fourni du financement supplémentaire à son programme de garde d’enfants14, qu’il a mis en œuvre le Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale 2017-202315, ou encore qu’il a lancé la Stratégie 0 à 8 ans – Tout pour nos enfants en 2018 pour améliorer l’éducation de la petite enfance16. Bien que ces initiatives servent à améliorer la vie des enfants, elles sont loin d’être suffisantes. Elles témoignent d’une approche incohérente à la mise en œuvre des droits de l’enfant. Il nous manque une stratégie globale pour l’application des droits de l’enfant. Plus encore, il nous faut une culture de respect et de reconnaissance des droits de l’enfant en tant que droits de la personne.
- Résolution 44/25 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 20 novembre 1989.
- Par Irène Théry, Nouveaux droits de l’enfant, la potion magique ?, (1992) 180 Esprit 5 ; Bruce C. Hafen et Jonathan O. Hafen, « Abandoning Children to their Autonomy: The United Nations Convention on the Rights of the Child », (1996) 37 Harv. Int’l L.J. 449.
- Décret numéro 1676-9 1 du 9 décembre
- État des traités, Convention relative aux droits de l’enfant. En ligne: https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-11&chapter=4&clang=_fr
- Article 1,CDE
- Par exemple, selon l’UNICEF, un tiers des enfants de bas âge sont mal nourris : UNICEF, Situation des enfants dans le monde 2019, https://www.unicef.org/ media/62526/file/La-situation-des-enfants-dans-le-monde-2019.pdf , 8.
- Voir Mona Paré, « Children’s Rights Are Human Rights and Why Canadian Implementation Lags Behind », Canadian Journal of Children’s Rights (2017) 4(1)
- Voir notamment Alain-Robert Nadeau, La Charte des droits et libertés de la personne : origines, enjeux et perspetives, 2006, Revue du Barreau 1, 46.
- Voir Mona Paré, La mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant : une question de principes, dans Le Tribunal des droits de la personne et le Barreau du Québec, Race, femme, enfant, handicap : les conventions internationales et le droit interne à la lumière des enjeux pratiques du droit à l’égalité, Cowansville, Yvon Blais, 2010, p. 391
- Comité des droits de l’enfant, Observations finales du Comité des droits de l’enfant : Canada, 1995, NU, CRC/C/15/Add.37, para. 11.
- Comité des droits de l’enfant, Observations finales sur les troisième et quatrième rapports périodiques du Canada, 2012, Doc NU, CRC/C/CAN/CO/3-4, 10. Voir aussi Comité des droits de l’enfant, Observations finales : Canada, 2003, CRC/C/15/Add.215, para. 8.
- Comité de droits de l’enfant 2012, supra note 11, 67. Voir aussi Comité des droits de l’enfant 2003, supra note 11, para. 41.
- UNICEF Innocenti, Des mondes d’influence : Comprendre ce qui détermine le bien-être des enfants dans les pays riches, Bilan Innocenti 16, En ligne : https://www.unicef.ca/sites/default/files/2020-09/WorldsOfInfluence_FR.pdf. Pour une explication de la situation au Canada, voir UNICEF Canada, Bilan Innocenti 16 de l’UNICEF – document canadien d’accompagnement, 2020. En ligne : https://www.unicef.ca/sites/default/files/2020-11/UNICEF%20RC16%20 Canadian%20Companion%20FR%20-%20DIGITAL.pdf
- CRC/C/CAN/5-6, 50.
- Ibid, 134.
- Ibid, 157.