La gestion de la pandémie au Nunavik

La mairesse de Puvirnituq raconte la mise en place des mesures sanitaires dans sa communauté pendant la pandémie de la COVID-19.
Un carnet rédigé par Francine Gagné, militante au Comité droits des peuples autochtones de la Ligue des droits et libertés d’après une entrevue réalisée avec Lucy Qalingo Aupalu, mairesse de Puvirnituq

Comment se porte le Nunavik en ces temps de pandémie ?  Quel a été le poids décisionnel des Inuit du Nunavik par rapport aux mesures prises pour empêcher le coronavirus de mettre en danger sa population?

D’abord, précisons que contrairement aux Premières Nations, le peuple inuit n’est pas assujetti à la Loi sur les Indiens qui a été adoptée au Canada en 1876.  À cette époque, on peut imaginer que l’intérêt pour le territoire situé dans le « Grand Nord » était le fait de missionnaires et de marchands de fourrures.  Les Inuit ne vivent donc pas dans le système de réserves autochtones créé par la Loi sur les Indiens, mais bien en sol québécois, avec une certaine reconnaissance de leurs droits territoriaux que leur a concédé le Traité de la Baie James, traité auquel les populations de certains villages nordiques, dont Puvirnituq et d’Akulivik, n’ont d’ailleurs pas donné leur accord bien qu’elles y soient malgré tout soumises.

Environ 13 000 Inuit sont répartis aujourd’hui dans 14 villages construits, on se le rappellera, à l’époque de la Guerre froide par le gouvernement canadien et parsemés tout le long des rives de la Baie d’Hudson et de la Baie d’Ungava dans le but de faire reconnaître au niveau international la mainmise du Canada sur ces terres glacées dont les habitant-e-s étaient essentiellement nomades.  On se rappellera aussi que puisqu’il était impossible pour un humain de se déplacer sans se perdre dans un si vaste et si blanc territoire sans le support de chiens de traîneaux, la GRC n’a pas hésité à abattre ces « GPS à fourrure » au milieu du siècle dernier, pour forcer la sédentarisation des habitant-e-s du Nunavik.  Ce geste, qui a précédé l’époque des pensionnats, symbolise encore aujourd’hui la violence de la relation coloniale qui visait à détruire l’identité culturelle des Autochtones vivant depuis des millénaires dans le nord de cette « belle province », pour mieux s’approprier ce territoire dont on nous vante tant les richesses, particulièrement celles de son sous-sol et malheureusement rarement celles de son peuple.

Pour traiter de la situation de la pandémie au Nunavik, nous nous sommes entretenus avec Lucy Qalingo Aupalu, mairesse de Puvirnituq.  C’est dans ce village, construit au niveau du 60° parallèle nord et abritant aujourd’hui 1 901 personnes, qu’est située l’administration du Centre de Santé Inuulitsivik qui dessert les 7 communautés inuites réparties sur le détroit et la rive est de la Baie d’Hudson.  Le Centre de Santé Inuulitsivik, tout comme le Centre de Santé Tulattavik qui dessert les 7 villages de la Baie d’Ungava, relève de la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux du Nunavik (RRSSSN).  Il est important de préciser que le Nunavik est une des 17 régions administratives du Québec et que la RRSSSN relève donc du Ministère de la Santé et des services sociaux.

Madame Aupalu nous explique que le NREPAC (Nunavik Regional Emergency Preparedness Advisory Committee), composé des 14 maires et mairesses des villages nordiques, a tenu une réunion dès le mois de mars 2020 pour discuter des mesures à prendre pour éviter que le coronavirus se propage dans les communautés du Nunavik.  On se souviendra que malgré le fait que la société Makivik, créée dans le cadre de la Convention de la Baie James pour représenter les intérêts du peuple inuit, se soit opposée fermement à la reprise des activités minières sur son territoire, le gouvernement du Québec est allé de l’avant avec la réouverture du secteur minier qu’il jugeait indispensable (voir à ce propos le carnet rédigé en avril 2020 par Rodrigue Turgeon, Abitibien, juriste, allié, militant contre l’extractivisme). Cette décision unilatérale rappelle bien que le droit à l’autodétermination des peuples autochtones est encore loin d’être respecté.

Cependant, Madame Aupalu estime que la collaboration entre tous les acteurs locaux et la direction des services de santé a été fructueuse et que c’est grâce à ce travail d’équipe que le Nunavik n’a compté que 21 cas de COVID-19 depuis le début de la pandémie.  Malgré l’arrivée de la deuxième vague, la situation demeure sous contrôle. Il n’y a eu que 2 nouveaux cas dans la région depuis la réouverture des voyages vers le sud de la province, et il n’y a pas eu de propagation grâce à l’efficacité des protocoles mis en place dans chacun des villages par les organisations responsables.  Une des mesures rapidement mise en place pour éviter que le coronavirus soit introduit par la population qui arrivait du sud de la province a été que les travailleurs et travailleuses du centre de santé, de la Protection de la jeunesse, de la police et toutes les personnes allochtones qui travaillent dans les villages doivent demeurer 14 jours dans leur logement sans aucun contact avec la population ou avec leurs collègues, et ce, à chaque fois qu’ils ou elles reviennent d’un séjour à l’extérieur du Nunavik.

Les mesures sanitaires recommandées partout, comme se laver les mains, garder 2 mètres de distance et éviter toute forme de rassemblement, entre autres à la Coop ou à l’aéroport à l’heure des arrivées et départs quotidiens des avions ont été respectées.  La mairesse de Puvirnituq nous a dit qu’elle se rendait chaque jour à la radio communautaire du village pour rappeler ces mesures sanitaires à la population.  Il faut dire que la surpopulation dans les logements des villages nordiques due à un manque criant de maisons sur le territoire du « Grand Nord » rend la lutte contre la transmission de maladies contagieuses plus difficile.  À preuve, la tuberculose est toujours active au Nunavik.  Les ainé-e-s des communautés ont aussi joué un grand rôle en rappelant aux plus jeunes que les Inuit avaient durement été touchés par d’autres épidémies dans le passé et qu’il était important de ne pas prendre les choses à la légère.

De plus, Madame Aupalu nous mentionne que, malgré l’urgence des besoins en termes de logements au Nunavik, le conseil municipal de chacun des villages a évalué la liste des travaux de construction et de rénovation qui devaient être exécutés au cours de l’été 2020 et a reporté la majorité de ces travaux à l’année prochaine afin d’éviter qu’un trop grand nombre de travailleurs et travailleuses allochtones viennent dans les communautés au cours de l’été.   Une entente a d’ailleurs été signée entre les conseils de chacun des villages et les compagnies de construction stipulant que les travailleurs et travailleuses qui ne respecteraient pas strictement la quarantaine qui leur était imposée à leur arrivée seraient congédié-e-s et devraient immédiatement quitter la région.

Cependant, pour la mairesse de Puvirnituq, le contexte d’une pandémie convient mal pour parler d’autodétermination.  Madame Aupalu rappelle que son peuple a été victime d’un colonialisme qui a laissé des marques et qu’encore aujourd’hui, bien que les maires et les mairesses soient élu-e-s par les membres de leurs communautés, cela demeure insuffisant pour être en mesure de gérer vraiment leur territoire puisque les administrations des villages manquent de ressources financières pour offrir à leur population les services nécessaires à la bonne marche des affaires municipales.

L’autodétermination passe aussi par la reconnaissance de la précarité financière dans laquelle est tenue son peuple et par l’adoption de mesures pour enrayer cette précarité, tient-elle à souligner.Les conditions de vie, la pauvreté, l’insécurité alimentaire, la surpopulation des logements, toutes ces conditions affectent l’état de santé physique et mentale de la population du Nunavik et il y a encore beaucoup à faire pour que le peuple inuit puisse vivre dans la dignité auquel il a droit.


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.