Comment mettre fin à l’état d’urgence sanitaire sans y mettre fin : la stratégie du maître des illusions

En ce qui concerne les obligations de transparence de l’État, nous sommes toujours en état d’urgence. Reconnaissons-le, ceci ne nous empêchera pas de jouer au bowling ou de faire la fête. C’est bien la grande tristesse de l’affaire. Du pain et des jeux ? Non. Du pain et des contrats !

Un carnet rédigé par
Lucie Lamarche, militante de la Ligue des droits et libertés

Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.


Le Ministre de la Santé et des Services sociaux a déposé le 16 mars 2022 le projet de loi 28 visant à mettre fin à l’urgence sanitaire. La Ligue des droits et libertés qui réclame à hauts cris la fin du régime antidémocratique de l’état d’urgence depuis longtemps devrait donc se réjouir et organiser une grande fête. Je ne crois pas que ce soit le cas. Car l’expression visant à mettre fin utilisée dans le titre du projet de loi doit être interprétée littéralement. On ne met pas fin à l’état d’urgence. On tend à y mettre fin. Et c’est bien ce qu’on fait. Avec un peu de chances, les mesures de l’état d’urgence prendront fin le 31 décembre 2022 …. Soit après les élections.

L’illusion est totale, voire mystifiante

Premièrement, on nous demande de distinguer les mesures – nombreuses- qui sont à la clé de l’état d’urgence, de l’état d’urgence.

Deuxièmement, on nous invite aussi à une distinction cruciale qui exige un saucissonnage de l’article 123 de la Loi sur la santé publique conférant au ministre des pouvoirs exceptionnels en situation décrétée d’urgence sanitaire.  Dorénavant, il nous faut distinguer les mesures sanitaires imposées à la population et pour lesquelles on a déjà largement levé le pied, des autres mesures qui concernent l’action gouvernementale. On s’organise donc pour que le gouvernement vogue sur les flots bleus de l’impunité jusqu’à un moment … postérieur aux élections.

L’état d’urgence se poursuit encore et encore

Par exemple, l’article 129 de la Loi sur la santé publique prévoit l’obligation du ministre de produire un rapport d’évènement sur les mesures prises en état d’urgence dans les trois mois suivant la fin de cet état. Faites le calcul. Car ces mesures sont prolongées jusqu’au 31 décembre 2022.

De même, le projet de loi 28 reconduit, histoire d’éviter les surprises, l’impunité conférée au ministre, au gouvernement ou à toute autre personne jusqu’à cette même date. Nous sommes donc toujours à cet égard …. En état d’urgence.

À moi les pouvoirs !

Aussi, ne l’oublions pas, le gouvernement s’arroge le privilège de mettre en œuvre dans les faits une partie du projet de loi 19 Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives malgré la continuation des travaux parlementaires en la matière. Quand cela ne va pas assez vite, l’état d’urgence est bien utile.

Enfin, on suspend – encore une fois – les exigences de la Loi sur les contrats des organismes publics lorsqu’il s’agit de l’acquisition de gré à gré (sans appel d’offres) des fournitures, équipements, médicaments et même de travaux de construction prévus au Décret 177-2020 adopté en vertu de l’article 123 de la Loi sur la santé publique et dont l’effet n’est pas suspendu par le maître des illusions.

Bref, en ce qui concerne les obligations de transparence de l’État, nous sommes toujours en état d’urgence. Reconnaissons-le, ceci ne nous empêchera pas de jouer au bowling ou de faire la fête. C’est bien la grande tristesse de l’affaire. Du pain et des jeux ? Non. Du pain et des contrats !

Pendant plusieurs mois, la Ligue des droits a affirmé et réitéré qu’on pouvait désormais gérer la pandémie et mettre fin à l’état d’urgence. Plusieurs gouvernements l’ont d’ailleurs démontré. Le projet de loi 28 révèle qu’il s’agit dans les faits d’autre chose. Car il se destine non pas à la protection de la population mais bien à celle de l’action gouvernementale qu’il soustrait à toute supervision parlementaire et à toute obligation de reddition de compte pour encore plus ou moins neuf mois. S’il ne s’agit pas de rupture démocratique, trouvons un meilleur terme !

Vivement que le débat sur cette question s’incruste à l’Assemblée nationale. Tout le monde a été poli assez longtemps.