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Lucie Lamarche, avocate et professeure
Département des sciences juridiques, UQAM
2e vice-présidente, Ligue des droits et libertés
Nous étions un demi-million à marcher à Montréal le 27 septembre dernier. Tout le monde – ou presque – le sait, il s’agissait alors d’unir nos cœurs et nos énergies autour de l’objectif d’une lutte véritable et globale contre les changements climatiques. Les enfants en poussette, les grands-parents, les étudiant-e-s, tout sourires, affichaient des slogans créatifs dans toutes les langues. La foule était tendre et chaleureuse. C’était tellement beau qu’il s’en trouve pour qualifier l’évènement de… mignon ou éphémère. C’est bien mal comprendre le rythme des grands mouvements collectifs.
Ceci dit, il faut reconnaître le risque d’isoler la lutte contre les changements climatiques de tout autre enjeu. Ce qui semble ici laissé pour compte, c’est le lien entre droits humains, tous les droits humains, et lutte aux changements climatiques. Par exemple, on entend peu parler du droit humain à l’environnement, tant cette lutte se noie dans les débats experts du droit de l’environnement.
La planète peut-elle être sauvée sans que ne le soient les humains qui l’habitent?
L’isolement de cette lutte des autres enjeux politiques n’est certes pas total. Par exemple, de plus en plus de personnes lient la nécessité d’une autre économie à la capacité de s’attaquer véritablement aux changements climatiques. De même, on a vu récemment émerger le thème de l’éco-anxiété et de ses effets paralysants. Aussi, devant les tribunaux, des juristes revendiquent des gouvernements qu’ils agissent de manière proactive pour contrer les changements climatiques. Enfin, et ce n’est pas négligeable, des mouvements tel Extinction Rebellion revendiquent, dans la foulée de cette lutte, le droit à la désobéissance civile comme moyen légitime et ultime d’action. Le contexte met en évidence la dimension fondamentale du droit à la liberté d’expression et celle d’autres droits humains, tel le droit à la santé.
Isoler l’un ou l’autre droit humain sert mal la cause de l’interdépendance de tous les droits et la lutte aux changements climatiques.
Considérons, par exemple, le cas des discriminations lorsqu’elles s’enchevêtrent avec ces derniers. Cela met en évidence le fait que toutes et tous ne sont pas affectés de la même façon par les changements climatiques. Le Sud est la poubelle du Nord. Les populations racisées et les plus démunies sont les principales victimes des grandes tragédies telles les tsunamis, les inondations ou les ouragans. Faut-il rappeler la Nouvelle-Orléans en 2005, Puerto Rico en 2017 ou, plus récemment, les Bahamas? Plus près de nous, le drame humain des inondations de Sainte-Marthe-sur-le-Lac met en évidence la manière dont celles-ci frappent directement des populations aux ressources limitées et l’incurie des politiques publiques.
De plus, que dire de la lancinante question des emplois, tiraillée entre les climato-sceptiques et les climato-absolutistes. Les climato-sceptiques vivent dans le déni et justifient ce déni au nom de la préservation des emplois d’hier. Les climato-absolutistes offrent une réponse facile qui consiste à dire que les travailleuses et travailleurs peuvent se recycler. Toutefois, les plus vulnérables n’y ont pas toujours trouvé leur compte, puisqu’ils ne peuvent se requalifier aisément et qu’ils ont plus difficilement accès à la formation, voire simplement à un autre emploi.
Évoquant encore une fois l’exigence de l’interdépendance de tous les droits humains, il ne suffit pas d’un salaire décent pour que le compte y soit. Il faut aussi explorer le lien entre les emplois précaires de la nouvelle économie et le droit des travailleuses et travailleurs à la santé et à un environnement sain. Ce sont en effet souvent les plus vulnérables qui baignent dans les pesticides et dans les autres produits toxiques appartenant – hélas – à l’univers du travail.
Il y a donc de nombreuses façons d’appréhender les liens entre la tragédie des changements climatiques et les droits humains. Mais peut-être faut-il commencer par revendiquer que les politiques publiques demandées, voire exigées, contiennent des indicateurs du respect des droits humains. Ou, de manière plus imagée, de reconnecter la planète et les titulaires de droits humains.
On parle beaucoup de la relation incontournable entre l’économie et le virage climatique. Mais l’addition des droits humains ne se limite pas au droit de gagner sa vie décemment et proprement. Il existe une géographie des changements climatiques, laquelle exclut et fragilise des populations entières. Il n’est pas compliqué d’esquisser au plus près de nous une carte des discriminations exacerbées par le phénomène : la santé, le transport, l’accès au logement, aux grands espaces, etc.
Nous revivrons avec plaisir le 27 septembre 2019 à Montréal. C’était un grand moment humain. Il serait nécessaire toutefois de reconnaître que cette manifestation n’était pas que mignonne ou éphémère. Elle soulignait non seulement l’angoisse des futures générations devant les changements climatiques, mais aussi la précarité des populations qui, actuellement, luttent pour leur sécurité et pour leur droit à la vie. Appréhender la lutte contre les changements climatiques sous l’angle des droits humains, c’est placer l’humain, détenteur de droits, au centre des actions requises. Les droits humains ne sont pas seulement les conditions préalables d’un devenir planétaire harmonieux. Ce ne sont pas seulement les droits de demain, mais bien aussi les droits d’aujourd’hui. Ce ne sont pas les droits d’une seule génération, mais bien les droits de toutes et tous.