Lettre publiée dans Le Devoir, le 3 juin 2022
Alexandra Pierre et Lucie Lamarche
Respectivement présidente et membre du conseil d’administration de la Ligue des droits et libertés
L’Assemblée nationale du Québec a adopté le 1er juin dernier la Loi visant à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire tout en prévoyant le maintien de mesures transitoires nécessaires pour protéger la santé de la population. Le Québec peut s’enorgueillir du record de longévité de l’état d’urgence sanitaire au Canada et ce, malgré une large coalition menée par la Ligue des droits et libertés qui en revendiquait la fin depuis plus d’une année. Seul-e-s les députés de la Coalition Avenir Québec ont voté en faveur de ce projet de loi.
L’évocation de mesures transitoires dans le titre de loi réfère dans les faits à un ensemble d’arrêtés issus de l’état d’urgence qui concernent les conditions de travail dans les secteurs de la santé et de l’éducation, les mesures de vaccination et de dépistage et ce que le ministre Dubé aime décrire comme les besoins opérationnels liés à la pandémie. Pour de mystérieuses raisons, la Loi prévoit que l’ensemble de ces dispositions d’exception prendront fin en décembre 2022. La Loi adoptée porte donc bien son titre : elle vise à mettre fin à l’état d’urgence car, toujours selon le ministre responsable, il ne peut en être autrement … au nom des besoins opérationnels mobilisés par la pandémie.
Les débats entourant l’étude et l’adoption de cette loi ont essentiellement gravité autour du besoin d’une reddition de compte complète et intelligible de la gestion de la pandémie de la COVID-19. On aurait espéré que le ministre soit sensible aux enseignements issus de celle-ci. En effet, la crise de la COVID-19 a révélé de nombreuses atteintes aux droits humains de la population québécoise et ce, en fonction de caractéristiques socio-économiques et de critères de vulnérabilité. L’état d’urgence sanitaire a aussi accru la tendance du gouvernement québécois à confondre les droits et les besoins des Québécois. C’est au nom de besoins urgents que celui-ci a multiplié les accrocs au droit à la protection de la vie privée et la cueillette des données nominatives, les contrats de gré à gré négociés en marge des exigences de la Loi sur les contrats des organismes publics et les assauts sur les conventions collectives des secteurs de la santé et de l’éducation. Au passage, il a aussi généreusement contribué à l’accroissement de la richesse des médecins et mis en marche la refondation technocratique et numérisée du système de santé qu’il annonce depuis plusieurs semaines.
Les travaux de la Commission de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale ont révélé les limites de la Loi sur la santé publique, source des pouvoirs d’urgence exercés pendant trop longtemps par le gouvernement. En Commission, les partis d’opposition ont consenti des efforts considérables afin de définir les exigences du laconique rapport d’événement qui doit être produit à l’issu d’un état d’urgence sanitaire en vertu de la Loi sur la santé publique. En vain. Qu’il s’agisse de l’examen des responsabilités des acteurs de la crise, de l’analyse des impacts de sa gestion, de celle des processus de prises de décision et de la mise en disponibilité des informations à la clé de celles-ci ou du bilan du recours à la mains-d’œuvre indépendante, le ministre a dit non. Tout au plus, a-t-il consenti à une date de production dudit rapport d’évènement fixée au 10 juin 2022. En conséquence, les oppositions ont voté contre ce projet de loi.
À vrai dire, l’état d’urgence sanitaire aura significativement participé au virage autocratique du gouvernement québécois qui en a remis quelques couches au chapitre de la gestion par indicateurs de performance, de la numérisation des services publics … et de la privatisation. Quels impacts à long terme pour les droits humains des Québécois et des Québécoises ? Pour le droit au travail ? Pour le droit à la santé ?
L’état d’urgence sanitaire, c’est bien pratique pour le gouvernement mais ce n’est tout simplement pas démocratique. Il faudra beaucoup de vigilance citoyenne pour se remettre de cette crise pandémique. Car le gouvernement a pris de mauvaises habitudes et étire le plaisir. En démocratie, la gestion allongée par voie de décrets et d’arrêtés, ce qui est le propre d’un état d’urgence, n’est pas une option. Car sous le parapluie de la crise sanitaire, se cache autre chose.