Le droit à la santé nous échappe!

Les crises servent un gouvernement qui aime imposer ses solutions comme en matière de santé, souvent privées, au nom de l’urgence.

Lettre ouverte publiée dans le journal Le Devoir, le 20 septembre 2023

Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés

Cet automne québécois est celui de tous les périls pour les droits humains : crise du logement, itinérance, inflation, insécurité alimentaire et rupture de service en matière d’éducation succèdent aux feux de forêt et aux inondations. Pendant ce temps, en matière de santé, on multiplie rapidement les recours au privé qui volent à la rescousse du public, siphonnant les ressources de celui-ci en prétextant une plus grande efficacité.

C’est dans ce contexte que se déploient le « Plan santé » et le projet de loi 15 portant la réforme institutionnelle qui l’accompagne. De nombreuses voix se sont fait entendre afin de dénoncer le peu de cas que ces initiatives font des déterminants sociaux qui ont une incidence sur la santé de la population. Faut-il s’étonner que des ménages mal logés, mal éduqués, mal servis par le travail et mal nourris… tombent malades ?

Or, agir en amont de l’état de maladie semble au-delà de l’imagination et de l’ambition d’un gouvernement qui définit son rôle comme se limitant à la gestion des crises qui se multiplient. Le cas de la santé est flagrant : cap sur l’accès aux soins de santé à n’importe quel prix, et rien ou si peu pour la santé publique et les services sociaux. La gestion de crises sert bien un gouvernement qui aime imposer ses solutions — et une idéologie de la privatisation — au nom de l’urgence.

Les nombreux risques auxquels sont confrontés les gens constituent clairement un enjeu de droits humains, et le droit à la santé cristallise cet enjeu parce que la violation des autres droits, liée aux crises actuelles, porte atteinte à la santé. Cette affirmation implique des obligations pour l’État.

Premièrement, il faut redonner à la population le contrôle sur la détermination de ses besoins avant qu’elle ne soit confrontée à la maladie. Démocratiser la santé, c’est reconnaître l’importance décisive de la santé publique et des stratégies de santé populationnelle. Cela ne sera pas le mandat de la nouvelle agence Santé Québec, qui camouflera la santé publique dans un organigramme kafkaïen.

Deuxièmement, le système de santé et de services sociaux doit distribuer ses efforts entre l’amont et l’aval des problèmes de santé. À quoi sert de diagnostiquer rapidement le diabète, l’asthme ou l’anxiété si la seule solution disponible consiste dans la prescription d’un médicament ? Cela n’éradique ni les moisissures du logement ni la pauvreté, et n’apporte aucune solution au coût exorbitant du panier de provisions ou au faible niveau de littératie en santé.

Troisièmement, la reconnaissance du droit à la santé postule la reconnaissance des autres droits fondamentaux et exige la mise en oeuvre d’un ensemble de politiques sociales pour en assurer la réalisation. En réponse aux crises nombreuses qui frappent les populations, le cadre de référence des droits humains n’est pas une abstraction. C’est plutôt une méthodologie de la dignité humaine.

Il impose de mener une analyse d’impacts des politiques publiques sur les droits humains qui comporte des exigences procédurales et substantielles. Sur le plan procédural, la participation effective des populations à la détermination des services de santé et services sociaux et à leur organisation doit être garantie. Sur le plan substantiel, il importe d’évaluer, entre autres, si la privatisation des soins de santé agit sur l’amélioration constante des conditions de vie des populations. De toute évidence, l’obsession de la gestion des listes d’attente réduit le droit à la santé à peau de chagrin.

À la lumière de ces exigences, gérer le Québec « une crise à la fois » en s’en remettant aux lois du marché représente en soi une violation des droits fondamentaux. Et l’état de crise n’exempte pas plus le Québec que d’autres sociétés de l’exigence de leur respect.

La dimension sociale et économique du droit à la santé est indissociable de l’exercice d’autres droits, dont celui au logement, à l’éducation, au travail, à l’alimentation et à un environnement sain. Investir dans la santé populationnelle est une question de dignité et de sécurité humaines ; il est urgent que le gouvernement québécois opère une transformation profonde de sa vision et assume ses responsabilités en matière de droits humains.

Car, cet automne plus que jamais, le droit à la santé nous échappe !