Le droit à l’éducation en tant que droit humain

Porté d’espoir, le droit à l’éducation vise à permettre à toutes et tous de participer pleinement à la société et de s’extraire de la pauvreté ; il illustre l’interdépendance des droits humains. Par ses engagements, le gouvernement du Québec doit respecter, protéger et mettre en œuvre le droit à l’éducation.

Le droit à l’éducation en tant que droit humain

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Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024

Christine Vézina, Professeure, Faculté de droit de l’Université Laval, directrice et chercheure principale de COMRADES – Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux

Le droit à l’éducation est un droit de la famille des droits économiques, sociaux et culturels, protégé par les articles 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)1 ratifié par le Québec et le Canada en 1976. Comme tous les droits humains, le droit à l’éducation impose des obligations de respect, de protection et de mise en œuvre à la charge de l’État2. Conformément à ses engagements, le gouvernement du Québec doit donc s’abstenir d’agir de manière à porter atteinte au droit, réglementer l’action du secteur privé afin qu’il se conforme aux obligations imposées par le droit à l’éducation et enfin adopter, de manière délibérée, des lois, des politiques publiques et des programmes et les financer suffisamment, afin de donner effet audit droit.

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Un droit d’autocapacitation

La singularité du droit à l’éducation repose sur le fait qu’il est un droit d’autocapacitation, c’est­-à­-dire un droit destiné à donner du pouvoir aux personnes et « une des clefs des autres droits inhérents à la personne humaine3». En misant sur l’épanouissement « de la personnalité humaine » et « du sens de sa dignité », le droit à l’éducation vise à permettre à toutes et tous de participer à « une société libre », en y jouant un « rôle utile »4. C’est l’article 13(1) du PIDESC qui consacre explicitement cette idée, se conjuguant au présent et au futur. On détecte en effet, au cœur du droit à l’éducation, une double temporalité qui lui est propre. Le droit vise à miser sur le présent, tout en formulant un projet d’avenir où les groupes diversifiés de la société se comprennent. En nous invitant ainsi à rêver au futur, on peut dire que le droit à l’éducation est porteur d’espoir. Il l’est aussi par son humanisme qui dépasse, selon le Comité des droits économiques sociaux et culturels (CDESC), la finalité utilitariste que l’on peut associer à l’éducation : « son importance ne tient pas uniquement aux conséquences [qu’a l’éducation] sur le plan pratique. Une tête bien faite, un esprit éclairé et actif capable de vagabonder librement est une des joies et des récompenses de l’existence5 ».

La visée d’autocapacitation du droit à l’éducation a aussi une portée transfor­mative dans le sens où elle cherche à permettre aux adultes et aux enfants socialement et économiquement margi­nalisés de se doter des moyens leur permettant d’être actrices et acteurs de leur communauté. Pour atteindre cet objectif aux bienfaits collectifs, il importe pour l’État de concevoir les fonds affectés à l’éducation comme « un des meilleurs investissements financiers que l’État puisse réaliser6 » plutôt   que   comme des dépenses.

Quatre caractéristiques essentielles et interdépendantes

Pour concrétiser ces précieux objectifs poursuivis par le droit à l’éducation, quatre caractéristiques essentielles et interdé­pendantes doivent structurer l’intervention de l’État : la dotation, l’accessibilité, l’acceptabilité et l’adaptabilité, le tout devant être surdéterminé par l’intérêt supérieur de l’apprenant7. Ces exigences imposent de prévoir des établissements, des programmes et des services éducatifs disponibles, en nombre suffisant, qui soient accessibles sur les plans physique et économique, sans discrimination. Ces établissements, programmes et servi­ces doivent être acceptables pour les personnes, c’est­-à­-dire qu’ils doivent être de bonne qualité, pédagogiquement perti­nents et culturellement appropriés. Ils doivent aussi être souples et adaptés aux besoins des étudiant-­e­-s et des sociétés en mutation. Ces caractéristiques forment en quelque sorte des vecteurs d’effectivité du droit à l’éducation.

Du minimum au maximum des ressources disponibles

L’État dispose d’une certaine marge de manœuvre pour réaliser progressivement le droit à l’éducation, tout en ayant l’obligation de mobiliser l’ensemble des ressources disponibles pour lui donner effet8. Ce volet de ses obligations est toutefois trop souvent instrumentalisé pour invisibiliser les obligations à réali­sation immédiate qui s’imposent à lui et pour justifier indûment des atteintes au droit. Il importe donc de bien démêler les différents types d’obligations prévus au PIDESC. Au chapitre des obligations à réalisation immédiate, soit les obligations dont la réalisation ne peut être différée dans le temps, se trouvent celles qui visent à assurer la jouissance du noyau minimal essentiel du droit. Ce seuil minimal fondamental, en deça duquel il est impossible d’aller, exige l’accès gratuit et universel à l’éducation primaire, des programmes éducatifs qui visent les objectifs humanistes poursuivis par l’article 13(1) du PIDESC, l’adoption et la mise en œuvre d’un programme national d’éducation visant l’enseignement secon­daire, universitaire et l’éducation de base, accompagné d’indicateurs destinés à l’évaluer9 et le libre choix de l’éducation sans ingérence de l’État10. L’interdiction de discrimination dans l’accès aux établissements, programmes et services s’impose également de manière immé­diate, à titre de composante du noyau minimal essentiel11.

L’appréciation des obligations à réalisa­tion progressive, quant à elle, est tributaire du niveau de richesse de l’État. Essentiellement, plus l’État est riche et moins il peut s’exonérer des atteintes au droit qui découlent de son inaction. Dans tous les cas, l’exigence de progressivité n’est pas synonyme d’inaction12. En effet, l’État est tenu d’agir de manière immé­diate dans le but d’assurer l’éducation secondaire, universitaire et l’éducation de base. Il est de plus reconnu que la collecte de données ventilées13, permettant de mieux comprendre les réalités et de déce­ler la discrimination, s’impose à l’État dès la ratification du PIDESC. Enfin, le pendant de l’obligation à réalisation progressive se manifeste dans l’interdiction de mesures régressives, lesquelles ne peuvent s’avérer justifiées que dans des circonstances limitées et exceptionnelles14.

Des voies de recours effectifs

Comme pour tous les droits prévus au PIDESC, l’État est tenu de prévoir des voies de recours en cas d’atteinte au droit protégé, à défaut de quoi il doit démontrer qu’il ne s’agit pas de mesures appropriées pour donner effet au droit15.

Ces recours doivent prévoir des réparations pour les victimes d’atteintes attribuables à l’action et à l’omission de l’État et, à la fois, forcer son imputabilité.

À ce titre, il importe de rappeler que le Canada a accepté la dernière recommandation formulée par le Conseil des droits de l’homme, dans le cadre de l’examen périodique universel, exigeant qu’il cesse de demander à ses procureur-­e­-s de plaider l’injusticia­bilité des droits économiques, sociaux et culturels16.

Ce bref survol nous a permis de tracer les contours du droit à l’éducation tel qu’il existe en droit international des droits humains. Comme nous l’avons vu, ce droit impose une diversité d’obligations à l’État et forme un cadre d’analyse à partir duquel il est possible de jeter un regard critique sur le système d’éducation québécois et ses failles. À l’heure du système à trois vitesses, de la médicalisation de l’éducation et des bris de scolarisation, de la scolarisation partielle et précaire des élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation, il ne fait aucun doute que la grille du droit à l’éducation peut présenter un atout pour catégoriser les atteintes au droit et ainsi, inscrire le comportement de l’État dans un rapport juridique qui exige de la bonne foi, de l’imputabilité, de la transparence, du suivi et de l’évaluation fondés sur des données ventilées et, lorsque requis, des réparations.


  1. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993 RTNU 3 à l’art 16 (entrée en vigueur : 3 janvier 1976, adhésion par le Canada le 19 août 1976) [PIDESC].
  2. CDESC, CDESC, Observation générale 13. Le droit à l’éducation (art. 13 du Pacte), Doc off CES NU, 21e sess. DOC NU E/C.12/1999/10, par. 46 [Observation générale no 13].
  3. Id., par. 1
  4. PIDESC, art. 13(1).
  5. Observation générale no.13, par. 1.
  6. Id.
  7. Id., par. 6 et 7.
  8. PIDESC, art. 2(1); CDESC, Observation générale no 3 : La nature des obligations des États parties, Doc off CES NU, 5e sess, Doc NU E/1991/23 (1990) par. 1, 2, 9, 10, 11, 12, 13 [Observation générale no 3]; Observation générale 13, par. 43. Notons que les Observations finales du CDESC à l’égard du Canada, formulées lors de la dernière évaluation du pays dans le cadre du suivi de la mise en œuvre du PIDESC, en 2016, recommandait explicitement au Canada de mettre en place une politique fiscale équitable permettant de mobiliser les ressources disponibles requises pour donner effet aux droits économiques, sociaux et culturels. CDESC, Observations finales concernant le 6e rapport périodique du Canada, Doc off CES NU, 57e sess, Doc NU E/C.12/CAN/CO/6, par. 7 et 8 [Observations finales relatives au Canada de 2016].
  9. Observation générale no. 13, par. 52.
  10. Id., par. 51.
  11. Id., par. 57.
  12. Id., par. 44.
  13. Id., par. 37.
  14. Id., par 45.
  15. PIDESC, 2(1); CDESC, Observation générale no. 3, par. 5.
  16. Recommandation réitérée par le CDESC dans ses dernières observations finales à l’égard du Observations finales relatives au Canada de 2016, par. 5 et 6.