Le ministre demeure responsable du respect du droit à la santé

Dans le contexte de la nouvelle agence Santé Québec, le Québec a besoin d’un mécanisme permettant d’évaluer dans toutes ses dimensions la mise en oeuvre du droit à la santé.

Lettre publiée dans Le Devoir, le 18 mars 2024

Le ministre demeure responsable du respect du droit à la santé

 

Il est convenu que les déterminants sociaux ou les facteurs socio-économiques ont des répercussions sur la santé des individus et des communautés. C’est pourquoi la réalisation du droit à la santé ne saurait se limiter à l’accès à des soins de santé offerts par le médecin ou en contexte hospitalier. Dans cette perspective, il faut accorder, au sein de notre réseau de la santé, un rôle d’autant plus important aux services sociaux, à la santé publique et aux services en santé mentale, notamment.

Le droit à la santé implique également des interventions de l’État en matière de logement, de travail, d’environnement sain, d’éducation, etc. Cela, en conformité avec l’approche de l’interdépendance des droits, préconisée sur le plan international par l’Organisation mondiale de la Santé et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, et à laquelle souscrit la Ligue des droits et libertés (LDL). À ce propos, on trouvera sur le site Web de la LDL, une définition du droit à la santé, qui souligne l’importance de la participation de la population à la définition des stratégies de santé et de services sociaux.

L’État est responsable de la protection et de la réalisation de tous les droits humains, dont le droit à la santé. Cela ne signifie pas qu’il est le seul à offrir les services nécessaires à la réalisation de ce droit, mais plutôt qu’il est responsable de cette réalisation tout autant que des violations du droit à la santé. La récente adoption de la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace — le fameux PL 15 — soulève à cet égard des questions.

D’une part, elle confie à la nouvelle agence Santé Québec, une société d’État similaire à Loto-Québec ou à la Société des alcools du Québec, la responsabilité des opérations du réseau de la santé, tout en confiant au ministre de la Santé celle des orientations et des politiques. D’autre part, elle favorise l’accroissement du nombre d’acteurs privés engagés dans la livraison des soins et des services de santé, lesquels ne sont pas assujettis aux exigences des droits humains s’ils ne sont pas des établissements au sens de la Loi. On a pu constater récemment, à titre d’exemple, que le ministre de la Santé ne savait pas combien d’heures-patients un groupe de médecine familiale leur consacrait, ce à quoi il dit tenter de remédier. Il n’est donc pas si simple de garder un oeil sur le privé.

La question se pose donc de savoir comment le gouvernement répondra dorénavant de sa responsabilité au regard du droit à la santé étant donné la nouvelle distinction entre les orientations et les opérations en matière de soins de santé. Elle se pose d’autant plus que Santé Québec évoluera dans un environnement managérial, à la recherche d’une efficacité à tous crins, marqué par les chiffres, les cibles et la mesure. De plus, cet environnement se limitera largement à la livraison des services curatifs en matière de santé. Qu’adviendra-t-il, sous la gouverne de Santé Québec, des services déjà mal-aimés du réseau de la santé, comme la santé publique, la santé mentale et les services sociaux ?

Le parlementarisme québécois a démontré l’efficacité de mécanismes faisant en sorte que des acteurs publics rendent des comptes annuellement directement devant l’Assemblée nationale. C’est le cas du Protecteur du citoyen et de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. De tels mécanismes permettent aux parlementaires de mettre en évidence des dysfonctionnements à la source de la violation de plusieurs droits humains. Or, Santé Québec, à titre de société d’État et d’agent opérateur du système de santé, ne sera pas soumise à un tel exercice démocratique. Néanmoins, elle servira d’écran au ministre de la Santé, qui sera bien tenté d’esquiver sa responsabilité envers le droit à la santé.
Le Québec a donc besoin, dans ce nouveau contexte, d’un mécanisme permettant d’évaluer dans toutes ses dimensions la mise en oeuvre du droit à la santé. Pourquoi ne pas confier cette tâche à l’Assemblée nationale, en prévoyant également une voie de participation ouverte à la population ? D’autant plus que cette proposition a le mérite de promouvoir la dimension participative de la surveillance et du déploiement des droits humains.
Certes, la Loi est truffée de divers mécanismes de plaintes ou autres destinés au contrôle des ruptures de service, des erreurs et des fautes diverses enregistrées dans le réseau. Cela toutefois ne peut se substituer au besoin d’évaluer globalement la réalisation du droit à la santé au Québec. De surcroît, l’accroissement du nombre d’acteurs privés hors réseau, liés à Santé Québec par contrat, crée des entités qui échapperont à ces mécanismes de contrôle administratifs.
Les droits humains, dont le droit à la santé, imposent des obligations à l’État et donc aux ministres responsables de différents dossiers, dont le ministre de la Santé. Cela implique un engagement ministériel explicite aux fins de son respect. N’en déplaise au ministre et à son gouvernement, leur responsabilité demeure entière quant à la réalisation du droit à la santé.