L’inestimable valeur des droits humains

La promotion des droits humains est la condition sine qua non pour l’avenir de nos sociétés, pour s’éloigner des exercices de banalisation, de décrédibilisation et de manipulation qui fusent de partout.
image de la revue Droits et libertés

L’inestimable valeur des droits humains

Alexandra Pierre, présidente de la Ligue des droits et libertés

Bien commun

Les droits humains sont un bien commun. La COVID-19 a montré, de façon brutale, à quel point les droits humains concernent l’ensemble de la collectivité et combien ils ne peuvent être conçus et compris de manière strictement individuelle, mais requièrent très souvent des modes de mise en œuvre collective. L’impossibilité pour certaines personnes de faire respecter leurs droits au logement, à la santé, à la protection sociale, à un revenu décent et à la sécurité ainsi que la difficulté à rendre effectif le droit d’asile ou à de bonnes conditions de travail, tout cela met en péril, non seulement les droits des personnes, mais l’ensemble de la société.

Pour développer une société plus juste, en mesure de surmonter ou d’éviter les crises, les droits humains servent de guide. Ils ne sont cependant pas la panacée : ils nécessitent que les États fassent face à leurs obligations de respect et de promotion des droits humains,  qu’ils  soient  déterminés à soutenir la participation de leurs populations (particulièrement celle des groupes les plus marginalisés), comme l’exigent les différentes déclarations, pactes, conventions ou chartes et qu’ils soient imputables. Dans ce contexte, la compréhension de ce que sont les droits humains est primordiale, tout comme l’est  le  travail  de  résistance  contre l’instrumentalisation du discours des droits humains à des fins contraires au principe d’interdépendance des droits.

Décrédibiliser, banaliser, opposer

D’abord, la nature de ce que sont les droits humains est souvent manipulée et semble indéfiniment extensible. Toute situation est l’occasion d’évoquer un droit. Pensons à l’évocation politicienne des droits collectifs de la population québécoise pour imposer des décisions sur la base d’une majorité toute puissante, excluant ainsi une bonne partie de ceux et celles qui composent notre société. Par exemple, au nom des droits collectifs de la majorité, sans jamais pouvoir démontrer d’objectif réel et urgent pour la société québécoise en matière de laïcité, la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) a sacrifié les droits et libertés des personnes de confession musulmane, particulièrement des femmes musulmanes, sur la base d’un discours erroné.

Attaqués sur plusieurs fronts, les droits et libertés doivent être défendus. Pensons aux changements à la Charte par une simple majorité, à l’utilisation préemptive de la clause dérogatoire comme l’a fait le gouvernement du Québec avec la Loi 21, escamotant ainsi les débats tant dans l’arène politique que judiciaire, aux mobilisations du droit à la liberté d’expression, instrumentalisé par les mouvements de la droite identitaire pour justifier la propagation de leurs discours haineux à l’endroit des minorités, et notamment des personnes immigrantes et racisées. Les exemples sont aussi nombreux qu’inquiétants.

Un autre des mécanismes de banalisation des droits humains consiste à les considérer comme optionnels. On l’a vu lors du recours prolongé à l’état d’urgence sanitaire durant la pandémie où la gouvernance autoritaire était peu compatible avec le respect de l’ensemble des droits humains : ces derniers n’étaient jamais évoqués lors des prises de décisions. Même scénario au moment venu de la relance : malgré les violations massives de droits subies durant la pandémie par les personnes aînées, dans les quartiers racisés, par les personnes en quête de logement adéquat ou en situation d’itinérance, par les personnes dont le travail était dit essentiel, etc., la nécessité d’assurer les droits, notamment les droits sociaux garantis par la Charte, ne faisait pas partie des priorités.

Une autre manière de décrédibiliser les droits humains consiste à les opposer entre eux. Dans les prochaines négociations entre le gouvernement et les personnes employées dans le secteur public, on se fera certainement servir l’argument de la mise en concurrence entre le droit d’association (c’est-à-dire le droit d’exister des syndicats) et le droit de la population à des services de santé abordables. De même, à l’été 2021, les personnes habitant près de la Fonderie Horne étaient souvent mises devant ce faux dilemme : droit à la santé ou droit au travail ? Droit à un environnement sain ou droit à un revenu décent? Ainsi, les droits humains sont souvent dépeints comme des obstacles au développement économique ou à la prise de décision rationnelle.

Dans cette même veine, un certain vocabulaire entourant les droits humains participe aussi à la tentative de disqualification : droits fondamentaux, droits de base, etc. Les droits humains doivent être traités sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. Par exemple, le droit à l’éducation ne peut exister sans le droit à la santé et ce dernier ne peut s’accomplir sans droit au logement. De même, les mauvaises conditions de logement, de travail ou environnementales affecteront le droit à la dignité comme celui à la sécurité. Sans nier les tensions qui restent à résoudre, qui doivent être résolues, il est erroné (et risqué) d’opposer les droits entre eux comme on l’entend souvent dans l’espace public. La dignité humaine n’est pas morcelable : le seul équilibre se trouve dans le principe de l’interdépendance des droits où il n’existe pas de hiérarchie entre les droits.

Promotion des droits

Ces différentes façons de banaliser le cadre de référence des droits humains illustrent à quel point la promotion des droits est essentielle pour comprendre les potentialités et l’importance des outils nationaux et internationaux existants. Déclarations, pactes, conventions ou chartes, tribunaux, commissions sont des outils précieux, mais encore faut-il en comprendre la portée et savoir comment ils peuvent être utiles pour assurer la dignité de tous et toutes. Ces mécanismes de décrédibilisation des droits humains démontrent aussi l’importance de pleinement saisir le principe d’interdépendance des droits, pour ne pas tomber dans certains pièges et pour rappeler les gouvernements à l’ordre lorsque nécessaire.

Ainsi l’avenir des droits humains passe par la promotion des droits pour en saisir la puissance, pour les défendre, les étendre et, pourquoi pas, en assurer de nouveaux. Ce potentiel de puissance sera fort utile pour relever les défis des discriminations systémiques, des violations des droits sociaux et des crises environnementales ; bref, pour tendre vers la justice sociale. Ces luttes pour les droits et pour la promotion des droits ne peuvent être que collectives ; elles demandent discussions et délibérations. Les citoyen-ne-s (au sens civique du terme), les syndicats, les établissements d’éducation, et évidemment les organismes communautaires comme la Ligue des droits et libertés ont bien sûr un rôle à jouer dans ce chantier. Pour la suite du monde, l’heure n’est pas à la banalisation ou à la fragilisation des droits humains, mais bien à leur valorisation et à celle des outils qui les protègent pleinement ; cela passe aussi par la mobilisation continue de tous les groupes et mouvements sociaux engagés dans leur promotion.