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Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022
Le collectif jeunesse La voix des jeunes compte
Mélanie Lemay, cofondatrice du mouvement Québec contre les violences sexuelles
Clorianne Augustin, intervenante jeunesse
Alexandra Dupuy, cofondatrice du collectif # JaichangéMoiAussi
Une « agression sexuelle porte atteinte aux droits fondamentaux, notamment à l’intégrité physique et psychologique et à la sécurité de la personne1 ». C’est aussi un problème de sécurité et de santé publiques qui, malheureusement, est très répandu dans notre société, particulièrement auprès des jeunes. En effet, selon Statistiques Canada2, 55 % des victimes d’agression sexuelle au Canada sont des personnes mineures, alors qu’elles ne représentent que 20 % de la population.
Pourtant, seulement un tiers des jeunes révéleraient les agressions sexuelles dont ils ont été victimes alors qu’ils sont encore mineurs selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)3. La raison en est qu’encore aujourd’hui, souvent, la violence sexuelle vécue par les jeunes est banalisée et minimisée comme étant de l’exploration sexuelle, de l’intimidation voire de simples erreurs de jeunesse, notamment en raison de la culture du silence et des tabous entourant les agressions sexuelles et la sexualité des jeunes. Pourtant, selon les études4, entre 50 % et 80 % des agresseuses et agresseurs sexuels adultes ont affirmé avoir commis leur premier acte criminel à l’adolescence.
En conséquence, plusieurs jeunes ayant vécu de la violence sexuelle tarderont à dévoiler les gestes qu’elles et ils ont subis ou même ne les dévoileront jamais, ce qui les prive de la protection et des services dont elles et ils auraient besoin. Cette double violation de leur intégrité physique et psychologique découle directement de l’absence de filet de sécurité clair et accessible pour les jeunes ainsi que de notre incapacité collective à les protéger efficacement des représailles. Elles et ils n’ont pas d’endroit où dénoncer et leur sécurité est constamment menacée faute d’encadrement. D’autant plus que, pour détecter des cas de violence sexuelle chez les jeunes, il faut avoir de forts soupçons et être familier des indicateurs verbaux, comportementaux et physiques de la maltraitance ainsi que des signes physiques et comportementaux indirects. Il arrive souvent que des jeunes soient adressés à des professionnel-le-s parce qu’elles et ils présentent des problèmes physiques ou de comportement (par exemple absentéisme, instabilité émotionnelle, isolement, consommation de substances, hyperactivité, etc.) qui, après enquête plus approfondie, se révèlent être le résultat d’agressions sexuelles.
Il importe donc de réfléchir à ce qui doit être fait au sein des écoles primaires et secondaires pour lutter contre cette pandémie invisible, puisque l’école est un endroit clé pour faire de la prévention et de la sensibilisation. D’abord, parce que l’école est obligatoire, qu’elle est un important véhicule d’éducation et qu’elle est également la deuxième maison des élèves. Ensuite, parce que, collectivement, nous avons rendez-vous avec l’histoire.
En effet, l’actualité des dernières années a permis de mettre en lumière la confusion que beaucoup entretiennent entre séduction, sexualité et violence. Or, la violence à caractère sexuel n’a rien à voir avec la sexualité. C’est avant tout « un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de pouvoir, par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite5 ».
La question du plaisir
Heureusement, les vagues de dénonciation des dernières années ont aussi permis de faire émerger un nouveau débat, en abordant les relations et la sexualité saines. C’est lors de la scolarisation des jeunes qu’il faut le plus en parler, puisque c’est le moment où les elles et ils découvrent la sexualité. Il faut le faire avant que des comportements plus nocifs naissent, notamment à travers la pornographie ; or, dans ces représentations, très peu de place est accordée au plaisir ; pour plusieurs jeunes du secondaire, l’existence du clitoris demeure inconnue.
La société est à un moment charnière du débat qui a cours sur le consentement sexuel ; la prochaine étape serait logiquement d’aborder la question des relations sexuelles saines, permettant de sortir des zones grises et de dissocier clairement la violence du désir.
Nous pourrions profiter de ces circonstances favorables pour diversifier les approches et élargir le spectre du consentement, afin que la sexualité soit véritablement la rencontre d’êtres capables d’exprimer librement, sans contraintes ou menaces, leur désir mutuel. Plus précisément, on parlera alors de consentement enthousiaste, car cela permettra de centrer la sexualité autour d’une rencontre axée sur la communication et le plaisir.
L’absence du plaisir dans notre vocabulaire et dans notre imaginaire fait en sorte que la performance prime sur le plaisir mutuel et qu’on efface l’univers de la sexualité féminine. Nous sommes donc conviés à une nouvelle révolution sexuelle, où la violence sexuelle sera clairement dissociée de la notion de désir ; nous pourrons enfin sortir des normes clivées qui réduisent le champ des identités sexuelles en deux catégories restrictives puisque le désir reconnait l’infinité des combinaisons possibles entre l’identité de genre, l’expression de genre, le sexe assigné à la naissance, l’attirance sexuelle, l’attirance sentimentale et les différentes cultures qui composent notre monde. Le mouvement planétaire #Metoo permet donc l’écriture d’un nouveau script culturel face à la sexualité puisqu’il invite à reconnaitre que, pour qu’un consentement soit valide, il faut aussi qu’il soit enthousiaste, éclairé, émancipateur et teinté de désir mutuel. Obtenir le consentement enthousiaste avant et pendant toute activité sexuelle signifie plus concrètement que les partenaires sont sur la même longueur d’onde et ont du plaisir6. Le consentement enthousiaste des partenaires sexuels permet aussi d’être en mesure de le distinguer aisément de la violence en plus de nous libérer collectivement des mythes et stéréotypes véhiculés par la culture du viol.
Pour atteindre cet objectif, nous devrons réaliser des changements individuels, structurels, culturels et sociaux ; en effet, c’est l’ensemble de la société qui doit se mettre en action pour y arriver. Dans les écoles, il faudra à la fois viser la prévention et le traitement de la violence et s’assurer d’offrir une éducation sexuelle de qualité pour toutes et tous. Nous sommes conscients que cela prend du temps à changer une culture et que ce sera le travail de plusieurs générations, mais l’important est de commencer en posant une première pierre qui définit clairement l’orientation que l’on souhaite donner à notre société. Reconnaitre la violence sexuelle dans les écoles primaires et secondaires et travailler activement à la prévenir et à la contrer est un pas dans la bonne direction.
Pour cela, il faut que le Québec se dote d’une loi pour offrir aux élèves des écoles primaires et secondaires la même protection que celle accordée aux étudiant-e-s des cégeps et des universités ; il faut assurer la présence de professionnel-le-s (notamment des sexologues, des technicien-ne-s en éducation spécialisées, des psychoéducatrices et psychoéducateurs) dans les cours entièrement dédiés à l’éducation à la sexualité et il faut fournir davantage d’outils, de soutien et de formation continue aux équipes-écoles en matière de violence sexuelle (protocoles de réception de dévoilements, etc.). Il est nécessaire de ne pas laisser les agressions sexuelles impunies, de ne pas les minimiser sous prétexte qu’il s’agit de jeunes. C’est avant tout un devoir citoyen, mais également une question de respect du premier article7 de la Charte des droits et libertés de la personne ainsi que de l’article 13 alinéa 38 de la Loi sur l’instruction publique. Nous le devons aux prochaines générations pour qu’elles puissent vivre, grandir et apprendre dans des espaces exempts de violence. Agissons maintenant !
Propos recueillis en septembre 2021 par « La voix des jeunes compte » lors d’une discussion sur le consentement et les relations saines
« Dès le plus jeune âge, il faut introduire la notion du consentement, même auprès de la famille. Il ne faut jamais forcer un enfant à donner des câlins ; il faut plutôt lui faire savoir qu’il a le droit de dire non et que sa parole peut être respectée ».
« Il est important de mentionner aux tout-petits que certaines parties du corps ne peuvent pas être touchées de telle ou telle manière ».
« Non, c’est non ! Quand c’est pas un oui clair, il faut présumer que c’est non. Il faut que ce soit enthousiaste, pas un oui après que l’autre ait cédé ; un oui qui démontre que c’est un choix éclairé, certain et qu’il n’y a pas place au doute ».
« Le fait d’utiliser les bons termes avec l’enfant et de le familiariser avec, lui permet de se sentir à l’aise de dénoncer, de dire ce qui s’est passé, même si c’est avec un adulte de confiance ».
« Au secondaire, il y avait eu un atelier sur le consentement. C’était une heure ou deux, cela ne nous a pas tant aidés puisque c’étaient des notions de base que je connaissais déjà. Certains s’en foutaient et d’autres étaient intéressés et sont allés plus loin. Cela devrait être fait de façon récurrente, plus qu’une fois parce que les personnes ne vont pas porter attention ».
« Remarquez que souvent, quand on veut faire une inclusion de la diversité, je réalise que beaucoup de gens disent ne pas être prêts pour cette diversité. Or, c’est très bizarre comme attitude ; on n’accepte pas qu’il y a des différences et on a de la difficulté à comprendre qu’il y a des personnes différentes de nous. C’est dommage que des personnes aussi fermées d’esprit nous imposent d’entrer dans la même boîte ».
La voix des jeunes compte * est un collectif jeunesse formé majoritairement de femmes âgées de 15 à 20 ans qui se mobilisent depuis plus de 4 ans contre la violence sexuelle dans les écoles, un endroit clé pour faire de la sensibilisation et de la prévention auprès des jeunes. Elles rêvent d’une société juste où la sexualité sera libre, émancipatrice et axée sur le plaisir.
Grâce aux actions du collectif, le Centre de services scolaires de Montréal (CSSDM), le plus grand réseau d’écoles publiques du Québec, s’est doté en 2018 des tout premiers protocoles d’intervention sur les comportements sexualisés et la violence sexuelle dans les écoles. Par ailleurs, le 9 mars dernier, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion (présentée par la députée de Marie-Victorin, Catherine Fournier) qui ouvre la porte à la création d’une loi-cadre pour prévenir la violence sexuelle dans les écoles primaires et secondaires. Récemment, la députée de Québec solidaire porte-parole sur l’éducation, Christine Labrie, a déposé un projet de loi pour mettre en place une loi-cadre visant à prévenir et à combattre la violence à caractère sexuel dans les écoles.
Néanmoins, nous demeurons mobilisées puisque, tant que la loi ne sera pas adoptée, ce sont tous les jeunes du Québec qui écopent. En effet, faute d’encadrement et de financement, le protocole de la CSSDM est inconnu des établissements scolaires montréalais. Les écoles ailleurs au Québec ne sont pas outillées pour faire face à la violence sexuelle chez les mineur-e-s et l’accès aux ressources demeure largement déficient. Plutôt que de mettre au cœur de ses actions la prévention de la violence, le gouvernement du Québec continue d’agir en surface en promouvant des initiatives populistes dont les résultats demeureront largement limités aux symptômes plutôt qu’aux racines réelles de la violence. Quand allons-nous être enfin entendues ? #MetooScolaire
Note de l’éditeur
En vigueur dans les écoles du Québec des années 1980 à 2000, le cours Formation personnelle et sociale incluait un volet sur l’éducation sexuelle. À partir de 2005, le cours disparaît graduellement du cursus scolaire des écoles secondaires afin d’octroyer plus de temps aux matières de base ; il revient en 2018. Avec 5 heures au primaire et 15 heures au secondaire, l’intégration de l’éducation à la sexualité se fait de façon très variable d’une école à l’autre. Si des enseignant-e-s intègrent les notions dans leurs cours, des écoles se tournent vers des ateliers en prévention offerts par des organisations communautaires spécialisées en violence sexuelle ou encore, elles engagent des sexologues pour dispenser aux élèves l’éducation à la sexualité.
- Gouvernement du Québec (2001). Orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle. Québec : Publications Gouvernement du Québec, 2001, 22.
- Statistiques Canada (2014). Les infractions sexuelles commises contre les enfants et les jeunes déclarées par la police au Canada. En ligne : https:// statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2014001/article/14008-fra.htm
- Institut national de santé publique du Québec. Agresseurs sexuels. En ligne :https://www.inspq.qc.ca/agression-sexuelle/comprendre/agresseurs-sexuels
- Institut national de santé publique du Québec. Agresseurs sexuels. En ligne : https://www.inspq.qc.ca/agression-sexuelle/comprendre/agresseurs-sexuels/ ressources/victimes
- Gouvernement du Québec (2001). Orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle. Québec : Publications Gouvernement du Québec, 2001, 22.
- Jeunesse j’écoute (2018). Le consentement et pourquoi il est si important.En ligne : https://jeunessejecoute.ca/information/consentement-et-pourquoi-si- important/
- Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.
- Violence : toute manifestation de force, de forme verbale, écrite, physique, psychologique ou sexuelle, exercée intentionnellement contre une personne, ayant pour effet d’engendrer des sentiments de détresse, de la léser, de la blesser ou de l’opprimer en s’attaquant à son intégrité ou à son bien-être psychologique ou physique, à ses droits ou à ses biens.