Lettre ouverte publiée dans le journal Le Devoir, le 28 août 2023
Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
Lynda Khelil, responsable de la mobilisation de la Ligue des droits et libertés.
Le 22 juin, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a rendu public le deuxième rapport très attendu sur les interpellations policières et le profilage racial à Montréal. Espérait-il que la période estivale permettrait de camoufler ce rapport accablant ?
Les conclusions du rapport sont sans équivoque : les personnes autochtones, noires et arabes sont toujours interpellées de manière disproportionnée à Montréal. La politique sur les interpellations du SPVM adoptée en 2020 n’y a rien changé. La prétendue nécessité de cette pratique pour la sécurité publique n’est nullement démontrée. La majorité des policiers interrogés nient l’existence d’un problème de profilage racial au sein de la police, alors qu’il s’agit d’un phénomène réel, documenté et persistant.
En conférence de presse, le directeur du SPVM a rejeté avec une facilité déconcertante l’unique recommandation des chercheurs, soit l’instauration d’un moratoire sur les interpellations. La stratégie du SPVM a consisté à affirmer qu’il s’agirait d’une mesure purement symbolique. Quelle ironie !
Mais nous ne sommes pas dupes. Mettre fin à la pratique arbitraire des interpellations à Montréal et partout au Québec est un impératif dans la lutte contre le profilage racial et social.
En février 2023, la Ligue des droits et libertés a lancé une campagne exigeant l’interdiction des interpellations policières au Québec, une revendication appuyée à ce jour par plus de 90 organisations de défense des droits, communautaires, syndicales et associations d’avocats et d’avocates. Il s’agit également d’une recommandation de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
Aucune forme d’encadrement des interpellations ne parviendra à enrayer la discrimination ni les violations des droits et libertés inhérentes à cette pratique. Dans leur deuxième rapport, les chercheurs ne voient d’ailleurs pas « comment il est possible de continuer à utiliser un outil qui produit indubitablement des discriminations raciales, sous le prétexte qu’il est possible que les mesures mises en place par le SPVM fassent éventuellement effet un jour ».
La Ville de Montréal
En 2019, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait déclaré au sujet de la surinterpellation des personnes autochtones et racisées démontrée dans le premier rapport : « Ce qui en ressort présentement est choquant. Ces données ne représentent en rien la ville que l’on veut. »
Et en 2023 ? Aucune déclaration publique de la mairesse, malgré des conclusions tout aussi choquantes qu’en 2019. Ni dans les médias ni au conseil municipal du 21 août. C’est le responsable de la sécurité publique au comité exécutif, Alain Vaillancourt, qui annoncera la position inadmissible de l’administration : elle soutient le SPVM dans son rejet du moratoire sur les interpellations, en continuant de déclarer que le profilage racial et social est inacceptable. Mais que valent des déclarations sans action tangible ?
Le ministre de la Sécurité publique
Le 15 mars 2023, le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, déposait le projet de loi 14 (PL 14), disant faire de la lutte contre le profilage racial et social une priorité. Or, ce qu’il propose n’est que de la poudre aux yeux !
Le PL 14 prévoit que le ministre devra adopter, deux mois après la sanction de la loi, une ligne directrice sur les interpellations policières qui interdira qu’elles soient basées sur un motif discriminatoire. Une ligne directrice que le ministre entend élaborer avec les corps de police, sans consultation publique.
Dans la foulée, le ministre souhaite introduire cette interdiction de discrimination dans un règlement qui établira des normes minimales pour les codes de disciplines de l’ensemble des corps policiers.
Pourtant, le ministre n’est pas sans savoir que les chartes québécoise et canadienne interdisent la discrimination depuis près de 50 ans !
Entre la tentative du SPVM de passer sous le tapis ce rapport accablant, l’aveuglement volontaire de la mairesse de Montréal et l’illusionnisme du ministre de la Sécurité publique, qui se préoccupe de mettre fin maintenant aux violations des droits et libertés que vivent tous les jours les communautés et personnes racisées et autochtones surinterpellées par la police ?
L’interpellation policière, pratique arbitraire
Une interpellation est une situation où un policier tente d’obtenir l’identité d’une personne et de recueillir des informations auprès d’elle, sans qu’elle ait aucune obligation légale de dévoiler son identité ni de répondre aux questions. Les informations peuvent ensuite être enregistrées dans une base de données policières à des fins de renseignement. L’interpellation a lieu à l’extérieur du contexte d’une enquête policière et ne compte pas parmi les pouvoirs policiers en matière d’arrestation et de détention. Il s’agit d’une pratique arbitraire, car le policier n’a pas de motif raisonnable de croire ni de soupçonner que la personne visée a commis une infraction ou qu’elle est impliquée dans un crime.