En janvier dernier, le gouvernement Legault annonçait un plan visant la « refondation » du système de santé québécois. Cette annonce faisait écho au Rapport Castonguay sur la performance des soins et services destinés aux aîné-e-s durant la pandémie. Ce plan devait s’articuler autour de quatre axes: les ressources humaines, la disponibilité des données, les systèmes informatiques et les infrastructures.
Sept axes! Pas quatre?
Depuis, peu ou pas d’informations n’ont filtré quant aux travaux menés par le ministre de la Santé et des Services sociaux et son ministère, si ce n’est que tout récemment, l’Alliance des patients pour la santé indiquait, à la suite d’une rencontre avec le ministre, que le plan annoncé prendrait la forme d’un rapport attendu pour la fin du mois de mars. Selon l’Alliance, ce rapport porterait sur sept priorités : 1) l’accessibilité aux soins et services (1ère ligne); 2) les services aux aîné-e-s (maintien à domicile, CHSLD); 3) la prévention ; 4) la santé publique (plus d’indépendance); 5) l’innovation (meilleure collaboration avec le secteur privé et le milieu communautaire) ; 6) le financement du réseau (pertinence des actes, gestion des ressources humaines); 7) la gouvernance de proximité (incluant la reddition de comptes).
Une démarche opaque
Quel lien faut-il faire entre cette information et la déclaration de janvier dernier? Comment s’articuleront les quatre axes annoncés en janvier et les priorités qui seraient mises de l’avant dans le rapport du ministre? En dépit de cette information qui a somme toute filtré d’une rencontre non publique, la démarche entreprise par le ministre et son ministère demeure en définitive plutôt opaque, ce qui est totalement inadmissible en regard des questions de fond à considérer au préalable.
Le droit à la santé comme guide
À ce propos, le droit de toute personne à la santé pourtant reconnu sur le plan international et en partie dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux, ne devrait-il pas servir de guide à cette démarche ? La COVID-19 n’a-t-elle pas mis en lumière les inégalités sociales de santé? N’a-t-elle pas révélé les faiblesses d’un système de santé qualifié à juste titre d’hospitalo-centriste ainsi que les limites d’une approche centrée sur les traitements curatifs? Quelle orientation retrouverons-nous dans le rapport du ministre en vue d’assurer, en plus de l’accès aux soins de santé, l’accès à différents services sociaux qui font si cruellement défaut alors qu’ils ont une incidence certaine sur l’état de bien-être physique, mental et social, objectif central du droit à la santé?
Interventions législatives
L’absence de réponses à ces questions dérange d’autant plus qu’elle contraste rudement avec le taux élevé d’activité du gouvernement sur le plan des décrets, projets de lois et règlements ayant une portée sur le système de santé. Certaines de ces mesures projetées ou adoptées visent notamment les renseignements personnels en santé et services sociaux :
- le PL19 visant à créer un système national de dépôt des renseignements regroupant tous les renseignements de tous les usager-ère-s;
- le PL95 (adopté) prônant la mobilité des données numériques gouvernementales détenues par les organismes publics;
- le règlement visant la mise en œuvre d’un projet expérimental reposant sur l’obtention des renseignements clinico-administratifs. La collecte de ces renseignements a pour objectif de se donner les moyens de calculer les coûts par parcours de soins et de services de chaque patient-e, d’en comparer les coûts et de développer un modèle de financement axé sur le patient
- le règlement visant à modifier le Règlement sur les renseignements devant être transmis par le ministre de la Santé et des Services sociaux.
D’autres mesures, en plus des différentes ententes conclues avec les Centres médicaux spécialisés, visent la pratique médicale. Le projet de loi 11 porte notamment sur l’offre de services de première ligne par les médecins omnipraticiens. Il leur interdit de prendre de nouveaux patient-e-s autres que les personnes qui sont sur la liste d’attente et les oblige à se rendre disponibles par le système de prise de rendez-vous mis en place par la RAMQ ou par un autre système. Et, dans une toute autre perspective, usant des pouvoirs que lui confère la Loi sur la santé publique en contexte d’état d’urgence sanitaire, la ministre de la Santé et des Services sociaux – par décret, au tout début de la pandémie- a permis aux médecins non participants à la RAMQ (en pratique privée) de pratiquer dans des établissements publics sans modifier leur statut (contrevenant ainsi à l’interdiction de pratique duplicative).
Un casse-tête sans image
Chacune de ces interventions législatives a un impact potentiel sur le droit à la santé. En procédant ainsi à la pièce, alors qu’on mène une démarche de « refondation » du réseau, on fait en sorte qu’à la manière d’un puzzle, le plan d’ensemble ne serait compréhensible que lorsque toutes les pièces seront en place. Et cela est totalement inacceptable.
Selon le Premier ministre, « le train de la santé est magané, et ce depuis plusieurs années ». Personne ne remet ce constat en question. Mais là où le consensus s’arrête c’est dans la manière de procéder. Celle qu’adopte le gouvernement ne permet pas de préciser collectivement les questions de fond qu’il faudra résoudre, les objectifs à poursuivre, les priorités à donner, considérant les problèmes mis en lumière notamment, par la pandémie. Dans cette perspective, on aurait tort de croire que le droit à la santé commence et s’achève chez le médecin ou à l’urgence de l’hôpital. Il faut voir plus grand.
La proximité des soins
Par exemple, pourquoi faudrait-il que les services de première ligne et de proximité soient organisés autour de la prestation de soins médicaux alors que la réalisation du droit à la santé implique également l’accès à des services sociaux ? Si l’on croit que les médecins peinent à la tâche, pourquoi ne pas revoir la formule actuelle qui repose exclusivement sur l’accès à un médecin alors que d’autres professionnel-le-s pourraient prendre en charge ce premier contact tout comme plusieurs services ?
La connaissance de la communauté
La pandémie nous a douloureusement démontré que l’état de santé est tributaire des déterminants sociaux et non seulement des déterminants médicaux. Pourquoi ne pas s’appuyer sur la connaissance que les membres d’une communauté ont de leur réalité à cet égard ? Pourquoi ne pas mettre à profit cette connaissance? Comment en tirer parti afin d’établir les modalités d’accès aux soins et services qui soient les plus appropriés?
Et la santé publique?
Considérant que la santé publique a pour objectif notamment la « mise en place de conditions favorables au maintien et à l’amélioration de l’état de santé et de bien-être de la population en général », n’y aurait-il pas lieu de renforcer, outre leur degré d’indépendance à l’égard du gouvernement, le pouvoir d’intervention des institutions vouées à la santé publique ? N’y aurait-il pas lieu d’assurer l’autonomie des instances régionales en les affranchissant des structures ayant fusionné l’ensemble des établissements de santé d’une même région ?
Les enjeux financiers
Comment aborder la question de la rémunération des médecins liée à celle du panier de services dans une perspective de réalisation du droit à la santé? La complexité du processus de détermination de ces deux éléments, son manque total de transparence et son incidence sur les ressources financières de l’État consacré à la santé et aux services sociaux exigent que soient pris en compte d’autres intérêts que ceux des médecins, lesquels règnent sans partage sur le système de santé.
L’interdépendance des droits
Le droit à la santé est intimement lié à la réalisation d’autres droits humains. C’est ce qui explique le lien entre les déterminants sociaux de la santé et ce droit. Ainsi le droit à la santé est intimement lié au droit au logement, à la protection sociale, à l’éducation, au droit d’être protégé contre toute forme de discrimination. N’y aurait-il lieu de prévoir l’obligation d’une reddition de compte de l’État en regard de ces obligations? Cette obligation ne comprend-elle pas aussi l’obligation de mettre en œuvre un mode de gouvernance favorisant la participation de la société civile aux prises de décision en matière de santé et de services sociaux?
Voilà quelques-unes des questions qui, selon la Ligue des droits et libertés, devraient faire l’objet d’un débat public préalable à la définition d’un plan ou d’un rapport visant une refondation du système de santé et de services sociaux au Québec. La disponibilité et la qualité de tous les services de santé et des services sociaux sont des éléments essentiels du bien commun.
En savoir plus
En 2021, la LDL a publié une brochure Pour la reprise en main collective de notre régime de santé qui peut être consultée en ligne.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit le droit à la santé comme un état complet de bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou de handicap.
« La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ».