Quelle démocratie pour les élèves à l’école?

La démocratie prend des formes différentes à l’école comme les conseils d’élèves, les assemblées d’élèves et les mouvements de grève.

Retour à la table des matières
Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique, UQAM

L’élection du conseil d’élèves représente le modèle officiel de formation à la démocratie à l’école, mais d’autres expériences sont possibles, dont l’assemblée en classe et de manière plus autonome et conflictuelle, la grève. Retour sur une histoire méconnue.

Faire participer les élèves à la gestion de la vie d’une école ne va pas de soi, pour les adultes. En Occident, l’enfant a longtemps été la référence pour quiconque ne saurait se gouverner seul. On présentait les peuples colonisés, les prolétaires et les femmes comme des enfants que les États européens, les patron-ne-s d’usines et les hommes devaient gouverner, pour leur propre bien. Ce paternalisme se constatait aussi à l’école, où primait un modèle autoritaire et disciplinaire considéré nécessaire pour mener l’enfant vers les fonctions et les responsabilités de l’âge adulte.

Il s’agissait d’adultisme, défini par la professeure à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) Caroline Caron comme « une attitude stéréotypée qui produit et maintient des rapports dichotomiques et hiérarchisés entre les jeunes et les adultes [et] une conception déficitaire du développement de l’enfant et de l’adolescent-e où le stade adulte est perçu comme l’achèvement ultime de l’humanité1 » (je souligne).

Crédit : J’ai le droit d’être libre, Romy Zilberstein, 10 ans

Sous l’influence de l’idéal démocratique, le Conseil d’élèves élu existe depuis longtemps et s’est généralisé dans les années 1990, pour concrétiser l’esprit de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, qui lui garantit « le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant » (art. 12 et 13) et reconnait ses droits « à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique » (art. 15). Présentée comme un droit pour les jeunes, l’élection du Conseil d’élèves comporte aussi beaucoup d’avantages pour les adultes qui contrôlent l’élection et souvent même les candidatures, dirigent les travaux du conseil où siège toujours une personne adulte qui impose l’ordre du jour et bloque certaines idées ( pas de budget, trop compliqué , « la direction ne pourra pas », etc.) et mobilisent gratuitement ces jeunes motivé-e-s pour effectuer des tâches (journée portes ouvertes, nettoyage de la cour, etc.).

Le processus d’élection d’un conseil d’élèves favorise généralement des catégories de jeunes de familles privilégiées et appréciées par les adultes à l’école : responsables, loyaux à l’école, etc. Qu’importe, l’élection du conseil sert aussi à entrainer les jeunes d’aujourd’hui à voter une fois adultes. L’agence Élections Québec fournit même du matériel électoral pour les écoles.

Une telle ingérence politique a un nom : endoctrinement. Ici, l’agence et le ministère de l’Éducation endoctrinent les jeunes à croire que le vote individuel est un acte politique important et sacré et que le parlementarisme est la forme supérieure de la démocratie.

Cet endoctrinement — considéré comme une bonne chose par les adeptes du parlementarisme — s’accompagne de l’enseignement du mythe de l’invention de la démocratie à Athènes, où les citoyens prenaient leurs décisions à l’assemblée du peuple.

En réalité, la démocratie (directe) a été pratiquée un peu partout dans l’histoire de l’humanité, sous la forme d’assemblées populaires ou de villages. À l’époque coloniale de la Nouvelle France, les missionnaires jésuites ont constaté par exemple que les nations autochtones délibéraient très souvent, y compris les femmes et parfois les jeunes.

Chez des peuples nomades d’Afrique comme les Somalis, les enfants participaient aux assemblées quotidiennes qui déterminaient l’itinéraire de clan.

Des assemblées d’élèves

Les pédagogies libertaires (Louise Michel, Paul Robin, Sébastien Faure, Francisco Ferrer, Alexander Sutherland Neil, etc.) ont pour leur part proposé de tenir des assemblées d’élèves, pour favoriser l’autogestion. Pourquoi en effet élire quiconque dans un petit groupe d’élèves qui passeront 8 mois ensemble, 5 jours par semaine : on se connait, on peut se parler et décider collectivement. L’assemblée hebdomadaire en classe est d’ailleurs pratiquée dans les écoles Freinet en Europe et dans quelques écoles libres au Canada. Elle peut durer 10 ou 15 minutes, être animée de manière rotative par deux élèves et aborder des sujets concernant l’école, la classe, les activités parascolaires, les relations entre élèves ou avec les parents et le voisinage, etc.

Même si une telle pratique peut sembler inquiétante pour les adultes à l’école, l’expérience montre en fait qu’elle a bien des avantages. Par exemple, des conflits se règlent entre élèves, ce qui évite d’autant le recours à la discipline.

De plus, les élèves développent des aptitudes importantes, comme écouter les autres, s’exprimer en public, prendre des responsabilités, se sentir solidaire. Surtout, les élèves peuvent prendre leurs décisions collectivement. Voilà une véritable démocratie !

Cela respecte bien mieux les principes de la Convention relative aux droits de l’enfant que l’élection d’un conseil sans réel pouvoir, en plus de favoriser concrètement l’autonomie politique de l’ensemble des élèves. S’il y a bien sûr des inégalités entre élèves quant à leurs compétences délibératives, elles s’amenuisent souvent par la pratique.

Démocratie et conflictualité

Or la démocratie n’est pas seulement une question de processus de prise de décision, soit élitiste et aristocratique (le conseil d’élèves) ou égalitaire et réellement démocratique (l’assemblée). Il s’agit aussi d’une manière de vivre ensemble, de coopérer et d’exprimer les conflits. Depuis les années 1990, beaucoup d’importance a été accordée à la tolérance et à la diversité, dans les formations à la citoyenneté. C’est très bien ! On présente d’ailleurs l’inclusion des femmes et des ex-esclaves comme la différence fondamentale entre la première démocratie d’Athènes et la démocratie moderne d’aujourd’hui. Ce faisant, on escamote malheureusement l’autre différence fondamentale, la dépossession du pouvoir du peuple monopolisé aujourd’hui par les parlementaires que des philosophes comme Montesquieu et Rousseau identifiaient à une aristocratie élective.

Or non seulement oublie-t-on d’enseigner cette histoire des jeunes participant aux assemblées, y compris à l’école, mais on évacue aussi la conflictualité inhérente aux sociétés pluralistes et inégalitaires comme le Canada, les États-Unis, la France, etc.

Ici, la démocratie s’incarne et s’exprime aussi par la capacité d’agir collectivement sur le mode du conflit, par exemple par la pétition, la manifestation, la grève, etc. C’est ce que le philosophe politique Miguel Abensour a nommé la démocratie insurgeante.

Si le mouvement de la jeunesse pour le climat et l’appel lancé par Greta Thunberg de faire grève chaque vendredi après-midi apparaissent comme des nouveautés extraordinaires, cela s’inscrit dans une autre histoire oubliée : les grèves d’élèves (principalement au secondaire). Même si ce droit ne leur est par reconnu, des élèves ont fait grève dans le dernier siècle au Québec et ailleurs dans le monde pour protester contre le renvoi d’une institutrice bien-aimée, dénoncer des propos antisémites ou la ségrégation raciale, appuyer leurs parents en grève contre leur patron, demander du lait gratuit pour des enfants pauvres, bloquer la déportation de camarades d’une famille étrangère, exiger un transport scolaire adéquat, s’opposer au code vestimentaire sexiste ou à une nouvelle guerre. Dans le quartier Les Gonaïves en Haïti, en 1985, des élèves ont fait grève et manifesté dans les rues en scandant « À bas la misère, à bas la dictature ! ». La répression meurtrière a provoqué un mouvement populaire poussant le dictateur à l’exil. En Afrique du Sud, les élèves de la majorité noire ont lancé une révolte populaire qui a mis fin à l’apartheid2.

Les élèves sont trop jeunes pour la démocratie ?

Leur histoire prouve le contraire.


  1. Caroline Caron, La citoyenneté des adolescents du 21e siècle dans une perspective de justice sociale, Lien social et Politiques, no 80, 2018, 54.
  2. Pour en savoir plus, voir mes textes dans la Revue des sciences de l’éducation : Les élections de conseils d’élèves : méthode d’endoctrinement au libéralisme politique, vol. 32, no 3, 2006 ; « Histoire des grèves d’élèves du secondaire au Québec », vol. 46, no 3, 2020. Voir aussi : Beau comme un pensionnat qui brule au cœur d’une nuit d’hiver, Ricochet, 11 juin 2021 et La “grève du chocolat” de 1947 : une mobilisation enfantine d’un océan à l’autre, Histoire engagée, 10 septembre 2020.