Droit à l’éducation
L’éducation : un droit humain à respecter, promouvoir et mettre en œuvre!
En proposant la hausse des frais de scolarité et en prétendant que l’éducation est un investissement individuel pour lequel les étudiants doivent faire leur « juste part », le gouvernement de Jean Charest s’attaque de plein fouet au droit à l’éducation tel que défini par les instruments internationaux de défense des droits humains. Cette orientation va à l’encontre des objectifs fondamentaux de l’éducation tels que définis par l’ONU. Elle témoigne également de certaines dérives du système d’éducation québécois.
Ainsi, la Ligue des droits et libertés s’oppose à la hausse des frais de scolarité et appuie la lutte que mènent les étudiants du Québec en faveur du droit à l’éducation.
L’éducation : un droit …
L’éducation est un droit humain reconnu dans la Déclaration universelle. Le Canada et le Québec l’ont reconnu par leur adhésion au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) en 1976. Cette adhésion leur impose des obligations précises qui ont été établies par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU.
L’article 13 du PIDESC spécifie que l’éducation vise le plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité. Elle vise également à renforcer le respect des droits humains.
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, dans son Observation générale no 11, détermine que : «Le droit à l’éducation, reconnu aux articles 13 et 14 du Pacte ainsi que dans plusieurs autres instruments internationaux tels que la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, revêt une importance capitale. Il a été, selon les cas, classé parmi les droits économiques, les droits sociaux et les droits culturels. Il appartient en fait à ces trois catégories. En outre, à bien des égards, il est un droit civil et un droit politique, étant donné qu’il est aussi indispensable à la réalisation complète et effective de ces droits. Ainsi, le droit à l’éducation incarne l’indivisibilité et l’interdépendance de tous les droits de l’homme».
C’est sur cette base que le Comité a par la suite affirmé dans son Observation générale no 13, que : « L’éducation est à la fois un droit fondamental en soi et une des clefs de l’exercice des autres droits inhérents à la personne humaine. »
… qui impose des obligations aux États en matière d’accessibilité et de gratuité…
Ces obligations commandent au Québec, en vue d’assurer le plein exercice du droit à l’éducation de prendre les mesures nécessaires afin que :
L’enseignement primaire soit obligatoire, accessible et gratuit
L’enseignement secondaire soit généralisé et rendu accessible notamment par l’instauration progressive de la gratuité
L’enseignement supérieur soit rendu accessible à tous et toutes en pleine égalité en fonction des capacités de chacun, notamment par l’instauration progressive de la gratuité.
Or, les frais divers variés et croissants qui sont exigés au niveau primaire et secondaire ainsi qu’au CEGEP (lequel ne peut exiger de droits de scolarité mais multiplie par ailleurs les frais de «gestion» et d’«administration» de toutes sortes), vont au-delà de la capacité de payer d’une bonne partie des familles québécoises. On peut donc affirmer que les citoyen-ne-s du Québec ne jouissent pas pleinement de ce droit à l’éducation accessible et gratuite. Les frais afférents constituent un recul percutant qui n’est pas sans effet sur la possibilité d’atteindre le niveau universitaire. On voit s’ériger une barrière économique de plus en plus difficile à franchir pour de plus en plus de personnes, issues non seulement de familles à faible revenu mais aussi de familles à revenu moyen. Le Comité des droits économiques sociaux et culturels souligne à cet égard dans son Observation générale no 13 que les frais d’inscription imposés par le Gouvernement, les collectivités locales ou les établissements scolaires, et d’autres frais directs, sont un frein à l’exercice du droit à l’éducation.
Quant à l’université, la hausse annoncée des droits de scolarité est en flagrante contradiction avec l’obligation d’instaurer progressivement la gratuité. Le droit à l’éducation et son accessibilité gratuite ne sont pas simplement un « but souhaitable » à atteindre, mais bien un droit qui doit être respecté, protégé et mis en œuvre par les États parties au PIDESC. Le gouvernement du Québec manque à ses devoirs de résultats exigés par l’article 13 du PIDESC et emprunte la voie opposée à ses obligations légales : la hausse programmée des droits de scolarité à l’université, sans parler du laisser aller général devant la multiplication des frais de toutes sortes à tous les niveaux d’enseignement, n’est rien d’autre que la destruction progressive de la gratuité et la marche forcée vers une marchandisation progressive de l’éducation et d’exclusion d’un plus grand nombre des études universitaires.
Mentionnons qu’en 2006, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU avait condamné le Canada à propos de l’effet discriminatoire qu’avait depuis 1998 l’augmentation des frais d’études sur les personnes à revenu modeste dans nombre de provinces et territoires et ce malgré les mesures de soutien financier mises en place. Quant à l’argument du budget disponible pour progresser vers la gratuité des études universitaires, le Comité avait indiqué que « les Canadiens ont un niveau de vie élevé et le pays a les moyens de leur assurer dans une large mesure la jouissance de tous les droits énoncés dans le Pacte ».
Ajoutons à cet argument le fait que d’autres sociétés comparables à la nôtre ont fait le choix de la gratuité, notamment la Finlande. On peut d’ailleurs, à la lumière d’autres chiffres que ceux que nous livre le gouvernement du Québec, constater jusqu’à quel point le discours de ce gouvernement est trompeur. Ainsi, selon les pays comparés, les frais de scolarité imposés au Québec peuvent paraître être les plus bas (comparés à l’Australie, le Japon ou les États-Unis), ou les plus hauts (comparés à la France, l’Espagne ou les Pays-Bas)…
De plus, le débat actuel aurait été davantage respectueux de l’exercice des droits humains et la tension sociale actuelle éventuellement évitée si les gouvernements successifs avaient accepté d’engager la réflexion soumise par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse lors de son Bilan des 25 ans de la Charte en 2003. Ce bilan proposait d’effectuer un saut qualitatif quant aux droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans la Charte en leur reconnaissant une portée équivalente aux autres droits. On y proposait également d’insérer le droit à l’éducation en lieu et place du droit à l’instruction publique qui se limite aux niveaux primaires et secondaires. 36 ans après la ratification du PIDESC par le Québec, il serait grand temps d’insérer dans notre droit interne les obligations auxquelles l’État québécois s’est engagé à l’égard des droits économiques, sociaux et culturels.
…en matière de formation de base…pour tous et toutes, y compris les adultes…
Et pourquoi ne pas traiter également ici d’un autre volet du droit à l’éducation pour lequel le Québec doit aussi être rappelé à l’ordre. Le PIDESC exige en effet que l’éducation de base soit encouragée ou intensifiée pour les personnes qui n’ont pas reçu l’instruction primaire ou qui ne l’ont pas reçue jusqu’à son terme. Mentionnons de plus que le droit à l’éducation est le droit de « toute personne » et que cela implique que les obligations du Québec en matière d’éducation concernent également les personnes qui ont dépassé l’âge de la scolarité obligatoire. Ces obligations visent donc également l’éducation aux adultes. Or, dans une société développée où la richesse est répartie de manière très inéquitable comme la nôtre, l’analphabétisme, notamment, demeure très présent et le Québec ne répond pas, encore une fois, à ses obligations de résultats.
…et en matière de libertés académiques
La Ligue rappelle aussi l’importance de la protection des libertés académiques que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, dans son Observation générale no 13, considère comme une des conditions de réalisation du droit à l’éducation. L’exercice de ces libertés académiques réclamées par le Comité, tant pour le personnel enseignant que pour les étudiant-e-s, nécessite l’autonomie et l’indépendance des établissements d’enseignement supérieur. Elles ne doivent pas être sapées par les pressions politiques, économiques ou autres. La tendance à la privatisation par le biais du financement des institutions universitaires vient pourtant mettre à mal ces libertés essentielles. Cette tendance tacite à la privatisation finit par imposer des orientations à la recherche universitaire qui devient de plus en plus instrumentalisée et engendre un délaissement des savoirs qui ont une « moindre valeur marchande ». Les objectifs fondamentaux du droit à l’éducation et les finalités de l’université sont ainsi trahis par la gouvernance des établissements et la vision managériale qui investit l’enseignement supérieur, œuvrant à la colonisation du savoir par la loi du marché.
Défendre le droit à l’éducation : une obligation pour tous et toutes
Toutes ces dérives finissent par détourner l’éducation de son rôle et de ses objectifs et mènent à des violations du droit à l’éducation. La priorité de l’investissement collectif est supplantée par une vision individuelle et clientéliste de l’éducation, surtout universitaire. Or, plusieurs pays, comme on le sait, ont déjà mis en place la gratuité scolaire et en tirent des bénéfices énormes. L’éducation est un droit pour toute personne, mais elle est aussi un bien collectif pour toute société qui veut assurer et renforcer sa vie démocratique et qui permet de favoriser l’exercice de l’ensemble des droits humains de tous et toutes.
La lutte étudiante rappelle le Québec à l’ordre face à ses obligations en matière de droit à l’éducation et nous rappelle que nous avons aussi, tous et toutes, l’obligation de défendre et de promouvoir ce droit dans l’espace public.